Skip to main content
Indices & MarchésIndices, sociétés et marchésMarchés Europe

Eteignez vos télés-propagande et observez les marchés !

By 28 février 20226 Comments

Philippe Béchade revient sur les origines du conflit qui oppose l’Ukraine et la Russie. Et sur ce qui est en train de se mettre en place dans les médias. Avons-nous déjà franchi le point de non-retour ?

 

Commençons par essayer de nous rassurer un peu : ce lundi 28 février à 00h01, les « futures » sur le CAC40, le DAX, le S&P500 cédaient à peine 2% (sur les +3,5% gagnés vendredi), des scores confirmés à l’ouverture, à 9h01 sur les places européennes. Ils glissent doucement vers -3%, dans un mouvement de repli qui reste très ordonné, sur fond de volatilité un peu tendue, mais loin du paroxysme.

Les marchés asiatiques rouvraient carrément en hausse (à Tokyo, puis Hong-Kong) avant d’en terminer sur des gains respectifs de 0,2% (Nikkei) et 0,3% (Hang-Seng et Bourse de Shenzhen), à l’issue d’une séance marquée par une volatilité des plus banales.

L’Ukraine… cela doit apparaître comme une contrée très lointaine vue du Japon et le risque de 3ème guerre mondiale (potentiellement nucléaire si l’on en croit les gros titres de médias européens) semble négligeable.

Le Nikkei n’a même pas flirté avec l’enfoncement du plancher des 26 170 points du 27 janvier. Les investisseurs nippons semblent aussi préoccupés de la situation en Europe que d’un vague conflit tribal entre deux bantoustans africains que personne n’est capable de situer sur une carte !

Même la hausse de 3,5% du pétrole vers 101,5 $ et du WTI à 95 $ laissent les investisseurs asiatiques de marbre, en dépit du risque de dérapage de leurs coûts de production évident.

Aucune appréhension face au sextuplement (fois 6) du prix du gaz en un an : le Japon attend désespérément d’avoir un peu d’inflation depuis 30 ans !

Non, décidément, les marchés asiatiques ne se laissent pas impressionner par l’annonce d’une guerre imminente contre la Russie.

Une crise européenne annoncée depuis 2014 ?

Une guerre impliquant tous les membres européens de l’OTAN, évoluant peut-être vers une conflagration nucléaire, selon les « experts de plateau » de la question ukrainienne, tout heureux de pouvoir faire trembler dans les chaumières en citant les 5 650 ogives russes et le tout dernier missile « Satan 2 » capable de faire le trajet Moscou-Berlin en 5 minutes à Mach 27 pour délivrer une dévastation équivalente à 50 fois Hiroshima.

Ce serait évidemment un peu dommage de bombarder son principal client, mais Vladimir Poutine est tellement fou que… « sait-on jamais » !

Si les « experts » sont certains que Poutine est fou, cela compense le fait qu’ils ignorent que Yalta est une station balnéaire très prisée de la bourgeoisie de Kiev, que le Donbass est le principal fournisseur d’engrais de l’Europe, le premier exportateur de blé vers l’Egypte, mais surtout que les habitants de cette région sont bombardés depuis 8 ans par des milices (certaines néonazies) armées et instrumentalisées par le pouvoir, au mépris des accords de Minsk de 2015, co-signés par la Russie, dans l’indifférence quasi militante des européens : puisque les habitants du Donbass ripostent, c’est donc « 1 partout, balle au centre ».

Le contenu du paragraphe ci-dessus n’est pas « mainstream », et ceux qui ont scruté heure par heure les différentes chaînes d’info en continu ou les JT de 13h et 20h tout au long du week-end se montreront complètement incrédules. L’acronyme OTAN n’a même pas été prononcé une seule fois dimanche soir lors du « grand débat » de France2 « pour tout comprendre à l’attitude de Poutine ».

Ce furent 15 minutes de « bashing » sans la moindre espèce de nuance du « tyran russe »… Et même Hubert Védrine s’abstint de rappeler que l’OTAN joue un jeu dangereux depuis 2014 et que la guerre dure en réalité depuis 8 ans au Donbass, contrairement à sa prestation bien plus équilibrée de la veille sur une chaîne d’information privée.

Sur le service public, le conducteur de l’émission et les arguments présentables ou non présentables dans un « débat » sont prédéterminés par l’Elysée, l’animateur est là pour que personne ne vienne accidentellement distiller une vérité qui dérange.

Pourtant, les provocations de l’OTAN sont des faits, têtus et incontestables : tous les diplomates de haut rang en exercice – et même des « retraités » comme Dominique de Villepin ou le même Hubert Védrine – sont parfaitement au courant du défi permanent lancé à la Russie.

Moscou avait clairement tracé une « ligne rouge » dès 1997 concernant la non-adhésion et la non-militarisation de l’Ukraine, exigence rappelée avec force mi-février 2014 après le coup d’état du Maïdan qui déboucha sur l’annexion de la Crimée par la Russie… une autre ligne rouge du point de vue de l’OTAN cette fois franchie par Vladimir Poutine qui valut l’éviction de son pays du G8 (qui redeviendra ainsi le G7).

En ce qui concerne la « démocratie » ukrainienne, le pays se classe dans le « top 10 » des plus corrompus au monde, les chaînes d’information hostiles au pouvoir sont fermées, les opposants pro-russes sont harcelés. Mais rassurez-vous : cela est réalisé par les « gentils », donc ils ont tous les droits.

Les 2 Républiques (ou « Oblast ») de Louhansk et de Donetsk sont totalement isolées du reste de l’Ukraine par une frontière intérieure dont la sécurité aurait dû être garantie par les accords de Minsk, lesquels devaient en faire des provinces autonomes, élisant leur propre exécutif dans le cadre d’un scrutin reconnu par Kiev, contrairement au scénario observé en Crimée.

Mais, selon Washington et surtout l’OSCE (un organisme pan-européen qui s’est montré peu soucieux de les faire respecter alors que c’était sa mission première), Vladimir Poutine vient de les déchirer….

Il suffirait que l’OSCE publie ses rapports sur les « incidents » survenus dans l’est de l’Ukraine depuis 7 ans pour que les responsabilités du désastre actuel apparaissent mieux partagées.

Mais de tout cela vous n’en entendrez certainement pas parler : comme pour la crise du Covid-19, il n’existe qu’une seule vision du problème, qu’une seule solution, celle du gouvernement.

Elle est reprise, puis matraquée ad nauseam sans le moindre discernement, ni examen contradictoire (la base du journalisme) par tous les médias « mainstream », qui ne sont que des relais de la propagande officielle.

Le seul fait d’évoquer la négociation d’une solution diplomatique au conflit OTAN-Russie qui tient compte de tous les points de vue est désormais considéré comme un soutien à Vladimir Poutine.

Les médias portent une écrasante responsabilité dans ce processus d’hystérisation en donnant la parole aux plus bellicistes, des « philosophes » qui s’empressent de qualifier des « monstres » quiconque ne pense pas comme eux ou ne se comporte pas comme ils l’exigent. Et pour lesquels, la guerre pour punir les dictateurs (Irak, Syrie, Lybie) est toujours la bonne solution.

L’Europe et l’OTAN ont décidé de geler les avoirs de Vladimir Poutine et des oligarques qui le soutiennent, de placer la Russie sous embargo technologique et surtout, de recourir à « l’arme atomique » du bannissement des banques russes – peu importe où se situent leurs filiales – du système de règlement interbancaire « Swift ».

Un espoir pour des négociations ?

C’était censé être le dernier recours pour peser sur une solution diplomatique si les premières étapes n’aboutissaient pas.

Mais aucun pourparler n’a été engagé. L’Europe ne propose rien d’autre que d’envoyer des armes, des blindés, des avions de chasse à l’Ukraine. Mais qui les pilotera ? Il faut un an de formation intensive pour être opérationnel ! Plusieurs pays annoncent autoriser leurs citoyens qui le souhaitent à aller se battre en Ukraine, ce qui revient à mener une « guerre par procuration ».

Et tournant géopolitique majeur, l’Allemagne consacrerait une enveloppe de 100 Mds€ pour la « modernisation de sa défense », ce qui reviendrait à tripler son budget militaire. Elle ne l’avait jamais envisagé en 77 ans !

L’Europe et l’OTAN sont passés de la menace aux sanctions sans passer par la case négociations : la seule solution pour Poutine serait donc la capitulation. Et encore, pas sûr que cela suffise !

Le « point de non-retour » est peut-être déjà franchi comme l’a exprimé Vladimir Poutine qui poursuit donc son offensive en Ukraine puisqu’il ne peut plus empêcher le « bank run » massif des clients des banques qui se retrouvent privées du jour au lendemain de financement international.

La rupture des liens entre les banques russes et européennes provoque une chute de 8 à 11% pour BNP Paribas, Deutsche Bank, Unicredit, Société Générale.

Mais ce n’est rien à côté de la désintégration de -75% de Sberbank (la seconde plus grande banque russe) côté à Londres et qui se retrouverait en situation de « défaut ». Elle pourrait même être liquidée.

En ce qui concerne le Rouble, on peut également parler de capitulation : sa chute atteignait 42% par rapport à vendredi (-50% sur certaines plateformes d’échanges), le Dollar passant de 83,8 (son plancher de 2016) à 119 roubles pour 1 $ avant que la banque centrale ne monte les taux à 20%, ce qui a fait remonter le rouble à -25% vers 102 roubles pour 1 $.

Pour rappel : le Dollar n’en valait que 70 il y a quatre mois jour pour jour, juste avant que la Russie commence à mettre la pression sur l’Ukraine.

Puisque le désastre est consommé, qu’il n’y a plus rien à négocier pour l’empêcher, qu’est-ce qui dissuaderait Vladimir Poutine de faire « all-in » militairement sur l’Ukraine, avant qu’elle ne reçoive de nouvelles armes et le renfort de combattants venus du reste de l’Europe ?

Et pourquoi pas faire monter encore les enchères avec l’Europe en coupant le gaz ?

Si Vladimir Poutine reste au pouvoir, faire de la Russie un paria planétaire ne peut que mal se terminer. Le fonds souverain norvégien va se débarrasser de toutes ses actions russes, BP va se désengager de son investissement dans Rosneft dont il détient 19,75%.

Vu l’effondrement des cours du géant pétrolier russe à Londres (-45%, à 2,5 £, un plus bas depuis novembre 2008), cela va devenir la pire transaction de la décennie (BP va vendre au plus bas, au son du canon).

Tous les groupes pétroliers occidentaux opérants en Russie en prennent plein la tête : Total Energies qui a massivement investi dans le projet Yamal plonge de 7%, son partenaire Technip Energie chute tout autant et inscrit un nouveau plancher historique sous les 10 €.

Mais le CAC40 ne reperd globalement que 3% vers 6 550 points et conserve presque 2% de marge par rapport à son récent plancher des 6 435 points du 24 février.

Les marchés font implicitement le pari que les gesticulations médiatiques des va-t-en-guerre servent à entretenir la sidération des « masses imbéciles » (ce qui les rend dociles, ce qui est le but de tout pouvoir totalitaire) et que Poutine reviendra à la table des négociations, contré et forcé par l’effondrement de ses banques, de ses conglomérats pétroliers et gaziers, puis de sa monnaie.

Ainsi s’éteindra le premier conflit sur le sol européen depuis 1999 : l’OTAN bombardant la Serbie orthodoxe afin de lui arracher le Kossovo musulman, toute coexistence pacifique semble impossible… tout comme pour une partie de l’Ukraine et du Donbass.

Mais la Russie peut également considérer qu’elle n’a plus rien à perdre : c’est une stratégie très risquée, mais qui réussit très bien à la Corée du Nord depuis des décennies et qui lui vaut une forme de « respect »… que Vladimir Poutine semble avoir perdu.

Il sait parfaitement ce qu’il faut faire pour le retrouver… mais ça ne plairait pas du tout aux marchés.

6 commentaires

  • Avatar Bruno dit :

    Comme d’habitude, une bonne analyse, juste et mesurée, sans à prioris politiques ni outrance de nos médias …
    Merci

  • Avatar claude gazengel dit :

    oui quels delires des fanatiques du camp americano-otanien , pauvre union europeenne completement satellisée par ces bombardeurs americains inveteres !!! …le pire reste la domination des masses populaires par des moyens d’info totalement aux ordres en tout du camp ultra-capitaliste mondialiste , dont la logique de cupidite a ete de se rendre dependants de tous a coup de delocalisations ,meme de leurs adversaires , sciant la branche ou ils sont assis et criant ensuite au loup ….quel cynisme !!!

  • Avatar BollYogi dit :

    Merci Phillippe,
    Un très bon « papier »,
    Bien argumenté et somme toute assez objectif
    Merci

  • Avatar le chinois dit :

    La Russie n’est pas l’agresseur mais l’agressé . https://thecradle.co/Article/columns/5668

    AUKUS-Turkmenistan -l’Ukraine, montage pour démonter l’alliance Chine-Russie.

    Cet « invasion » est trop théâtrale.
    Vaincra celui qui sera capable de « Vaincre sans tirer l’épée », donc en fait la Russie a déjà gagné.

    La Providence au moment du péril a l’habitude a faire apparaître un/une sauveur, à qui « tout-le-Mal » s’en prend, aujourd’hui c’est Poutine . Il est le Katechon qui protégé l’Homme blanc, l’Homme Occidental .

  • Avatar Deschamps dit :

    M. Bechade j’aime votre côté contrarien assumé mais j’aurais aimé un mea culpa quant à votre prédiction avérée maintenant fausse qu’il n’y aurait pas de conflit il y a qqs jours.
    A moins que j’ai manque un article…
    Le journalisme n’est il pas l’école de l’humilité?

  • Avatar MASSIMI Marie dit :

    Merci …. excellente analyse de la grande mystification à laquelle nous assistons !!!!
    Que faire de ses avoirs ????
    Les Etats Unis mènent la danse, l’Europe à sa botte fonce tête baissée dans un dangereux engrenage ne laissant plus aucune manœuvre de négociation à la Russie …. , L’histoire mettra au jour cette manipulation de masse…, hélas à posteriori, entre temps, nous assisterons à l’effondrement des économies européennes pour que l’amérique continue à être le gendarme du monde …. à nos dépens bien entendu !!!

Laisser un commentaire

FERMER
FERMER
FERMER