Deux ans après son IPO à succès, durant laquelle elle avait levé un montant record de 11 milliards de dollars, Wise vient de publier ses derniers résultats annuels. Forte de ses 10 millions de clients actifs qui ont transféré l’an passé pour plus de 100 Mds£ (+37 % sur un an), l’entreprise a pu générer un chiffre d’affaires de 846 M£, en progression de +51 %.
La qualité des résultats annuels de Wise confirme le statut d’ovni du spécialiste des virements internationaux dans le secteur des fintechs, ces startups qui promettent de dépoussiérer les activités financières.
Alors que la plupart d’entre elles ont le plus grand mal à absorber la hausse des taux d’intérêt, ne sont jamais devenues rentables, et ne parviennent parfois même pas à voir leur base d’utilisateurs croître malgré des tarifs au plancher, Wise se permet le luxe de poursuivre sa croissance à deux chiffres et de continuer à dégager de l’argent avec son activité.
Avec une valorisation qui avait été violemment entraînée à la baisse ces derniers mois lors de la débâcle sectorielle qui a touché toutes les fintechs, elle fait pourtant partie des rares dossiers à offrir une perspective de rebond.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si son cours a bondi de +27 % en ligne droite suite à l’annonce des résultats : les investisseurs ont intégré qu’il s’agit d’un des rares dossiers sains du secteur. Si, à court terme, le marché a généreusement pricé les bonnes nouvelles, le potentiel de long terme reste intact.
Wise évite la purge sectorielle
Impossible, avant d’évoquer les bons résultats de Wise, de ne pas mentionner la véritable débâcle qui touche l’ensemble des jeunes pousses de la finance.
Les déboires d’Orange Bank, qui sera finalement revendue « pour pièces » à BNP Paribas, illustrent la complexité d’un secteur qui n’a jamais réussi à atteindre la maturité. La filiale bancaire de l’opérateur est en effet restée, malgré ses plus de 2 millions de clients, largement déficitaire depuis 2017, date à laquelle l’ancienne Groupama Banque a changé de dénomination. Avec des pertes se montant à plusieurs dizaines d’euros par client actif, la néo-banque intéressait si peu les investisseurs que les fonds qui s’étaient proposés de la racheter exigeaient un chèque de la maison-mère pour couvrir les pertes à venir.
La déplorable fin d’Orange Bank, ultramédiatisée et devenue un sujet politique, est toutefois l’arbre qui cache la forêt des fintechs mal en point.
Le néo-assureur Luko s’est retrouvé au mois de juin dans une situation inextricable, et a demandé une procédure de sauvegarde accélérée au Tribunal de commerce de Bobigny. Pour sauver l’activité, la startup sera rachetée par Admiral Group pour un montant symbolique de 14 M€ – un véritable camouflet pour les actionnaires historiques quand on sait que sa valorisation était encore de 200 M€ lors du dernier tour de table.
Même les grands noms du secteur ne sont pas à l’abri des mauvais vents. Revolut, coqueluche de la presse financière depuis qu’elle était parvenue à lever 800 M$ sur la base d’une valorisation de 33 Mds$ en 2021, n’en vaudrait plus que la moitié. La division spécialisée dans le non coté de Schroders, qui détenait une participation de 10 M£ dans la startup, a décidé de revoir à la baisse la valeur de la ligne à seulement 5,1 M£.
Cette opération vérité sur les comptes de Schroders, que l’on ne peut qu’applaudir tant les estimations délirantes sont fréquentes dans le non coté, a jeté un froid. Pour la première fois, un grand nom de la Bourse (Schroders possède pour plus de 737 Mds£ d’actifs sous gestion) évoque le fait que Revolut, qui ne dispose que de 30 millions d’utilisateurs, était certainement surévaluée. Avec un maigre EBITDA de 100 M£ pour un résultat net de 26 M£, les 33 Mds£ de capitalisation étaient certainement excessifs.
Et même avec une croissance des revenus de 30 % par an, et après division par deux de la valeur comptable retenue, Schroders devra s’armer de patience avant que la startup ne vaille les 16,8 Mds£ qui représentent près de 650 ans de bénéfices… d’autant que les +30 % constatés entre 2021 et 2022 représentent un coup de frein par rapport aux +189 % entre 2020 et 2021.
C’est dans ce concert de mauvaises nouvelles que les chiffres de Wise sonnent comme une douce musique aux oreilles des investisseurs.
Les bonheurs de la croissance auto-financée
C’était l’une des promesses phares de l’IPO : Wise, structurellement rentable, était capable d’auto-financer sa croissance. Pour les actionnaires, cette indépendance financière était plus qu’un gage de bonne gestion, une quasi-garantie qu’ils ne seraient pas dilués par des tours de table successifs.
En effet, si le cours boursier d’une entreprise peut varier au jour le jour, le pourcentage de capital détenu par un actionnaire reste constant tant qu’aucune opération capitalistique n’est menée. Son « droit aux bénéfices futurs » est alors stable dans le temps.
La frilosité des investisseurs et la hausse des taux d’intérêt, qui ont conduit à des baisses des valorisations, ont donné des sueurs froides aux actionnaires des fintechs en manque de liquidités pour lesquelles des levées de fonds supplémentaires étaient une question de survie. Or, à chaque fois que de l’argent frais est levé, les actionnaires historiques voient leur participation réduite. La valeur de leur investissement s’érode d’autant.
Rien de tout ça n’a eu lieu chez Wise. Forte de ses 10 millions de clients actifs, qui ont transféré l’an passé pour plus de 100 Mds£ (+37 % sur un an), l’entreprise a pu générer un chiffre d’affaires de 846 M£, en progression de +51 %.
Sur un an, son bénéfice avant impôts a triplé en passant de 44 M£ à 147 M£. Le bénéfice par action s’est établi à 11,53 cts (x3,4), pour un titre qui s’échangeait 5,25 £ avant l’annonce des résultats.
Le contexte de hausse des taux d’intérêt va également ouvrir de nouvelles opportunités d’affaires à la startup, qui offre désormais aux déposants la possibilité de basculer une partie de leurs actifs en obligations gouvernementales pour rémunérer leur épargne. Pour autant, la startup évite le piège de la diversification contre-productive : elle ne dispose toujours pas de licence bancaire, ne délivre pas de crédits… et ne compte pas se lancer dans cette activité.
Cette année, la direction prévoit une croissance de la marge brute entre 28 % et 33 %, avant de se stabiliser « à moyen terme autour des 20 % par an ». Avec une capitalisation boursière de seulement 6,7 Mds£ malgré la hausse fulgurante de la fin du mois de juin, Wise ne vaut que 20 % à 40 % du prix de Revolut… tout en ayant des comptes plus sains et générant cinq fois plus de bénéfice annuel.
Dans le paysage désolé des fintechs, Wise s’illustre par sa capacité à tenir ses promesses sans se laisser distraire par les modes du moment. Si, comme nombre d’analystes semblent le penser, le secteur est sur le point de subir une vague de concentration, Wise fait partie de ceux qui ont le plus de chance de surnager.