Le mois d’avril 2021 a été celui de tous les records, laissant présager soit une reprise économique, soit l’éclatement d’une bulle. La FED est confiante et annonce une inflation maîtrisée. De son côté, notre expert Philippe Béchade reste sceptique.
Ce vendredi 30 avril, à l’heure de la pause-café, les opérateurs de Wall Street s’apprêtaient à célébrer une fin de semaine bien particulière : une sixième semaine de hausse consécutive et un sixième mois dans un cycle haussier. La place de New York allait atteindre un zénith historique et depuis novembre, rien ne semblait stopper la course folle des indices.
Mais voilà que les deux dernières heures de cotations ont presque tout gâché ! En effet, le S&P500 n’est parvenu à préserver qu’une avance symbolique de 0,1%, ce malgré un repli de 0,7%. Le Dow Jones et le Nasdaq ont quant à eux clôturé respectivement en baisse de 0,5% et de 0,85%.
Le mois d’avril 2021 est le plus bullish qu’ait connu le monde de la finance depuis novembre 2020. C’est ce que les gérants retiendront. A l’échelle mensuelle, les indices ont progressé : le Nasdaq a engrangé 5,4%, le S&P500, 5,2% et le Dow Jones, 2,7%… Preuve, s’il en est, que la « grande rotation » en faveur des valeurs n’est pas pleinement enclenchée.
Contrairement à 2020, trois secteurs ont pris une éclatante revanche sur les technos pures, sur les Amazon, Zoom et autres Netflix : le secteur automobile (dont l’élan haussier vient d’être stoppé par Ford en raison de la pénurie de composants électroniques), le secteur énergétique (les valeurs pétrolières principalement) et le secteur minier (notamment avec Freeport-Mc-Moran).
Toutes voiles dehors vers une inflation maîtrisée ?
Globalement, la vague haussière n’épargne personne et tout le monde est sur le pont, toutes voiles dehors.
C’est Mohammed El Erian, le gérant emblématique de l’un des plus gros fonds obligataires de la planète – et l’un des plus influents – qui résume le mieux la situation.
Les Américains n’ont jamais détenu autant d’actions depuis un siècle. Elles représentent 41% de leur patrimoine en moyenne… Toutefois, il faut noter que cela recouvre d’énormes disparités. Souvent, ils les achètent à crédit pour amplifier leurs gains. Pour ce faire, ils profitent de tous les « creux », même les plus infimes.
Résultat : la capitalisation de Wall Street vient d’atteindre jeudi dernier 226,2% du PIB américain. Or, selon l’un des indicateurs favoris de Warren Buffet, qui animait samedi le meeting annuel des actionnaires de Berkshire Hathaway à Omaha, au-delà de 100% de ratio « capi/PIB », on peut commencer à soupçonner une bulle…
Sauf quand les taux restent à zéro et que la liquidité est la plus abondante de l’histoire du capitalisme, comme l’objectent avec raison les tenants d’un S&P500 à 6 000 points et d’un Nasdaq à 20 000 points d’ici fin 2022…
Ce consensus est largement encouragé par Jerome Powell et depuis le 1er mai par la Secrétaire au Trésor Janet Yellen. Cette dernière a par ailleurs développé tout un raisonnement visant à écarter le scénario inflationniste pouvant découler d’une surchauffe liée à l’ampleur des plans de relance dont elle va superviser la mise en œuvre. « Cela se fera étape par étape, échelonné sur huit ou dix ans. Le relèvement de la fiscalité sur les entreprises et les plus riches va limiter le recours à la planche à billet. La spirale prix/salaires ne devrait pas s’emballer et l’inflation restera maîtrisée »… Vaste programme !
Néanmoins, pas un mot sur la pénurie de composants électroniques, dont les prix flambent, ni sur le cuivre, qui pulvérise la barre des 10 000 $ par tonne, ni sur le palladium, qui a pour sa part atteint les 3 000 $ par kilogramme… Et encore moins sur les actions, qui représentent donc 226,2% du PIB américain.
Les signes sont de plus en plus nombreux, mais les autorités restent optimistes
Les déclarations de Janet Yellen de vendredi dernier éclipsent définitivement celles du président de la FED de Dallas, Robert Kaplan, lequel continue de parier sur une reprise du cycle de hausse de taux en 2022 ainsi que sur l’entame de discussions concernant la réduction des achats mensuels (« tapering »). Il observe par ailleurs des excès et des déséquilibres sur les marchés financiers, tandis que le marché immobilier est à des sommets.
Il y a manifestement un excès de liquidités, comme le démontre la spectaculaire reprise des programmes d’achat d’actions depuis fin 2020. Apple annonçait alors un plan de 90 Mds$ pour cette année, mais cela ne suffit manifestement pas puisque les achats d’actions à crédit sont également à un zénith historique. Et c’est sans compter la bombe à retardement des « leviers »… Reprenons à cet égard l’exemple de la désintégration du fond Archegos Capital, catalogué comme un problème isolé, vite circonscrit par les sponsors (Credit Suisse, Nomura, UBS, HSBC, etc.), et non systémique.
Même diagnostic que pour les « dot-com » ou les « subprimes »… mais avec un PER du S&P500 50% supérieur à mars 2000 et des prix immobiliers supérieurs de 40% au pic de l’été 2006 (sur fond de pénurie de biens disponibles).
Ne soyez pas étonné de la confiance de Janet Yellen, qui avait expliqué lors de sa nomination à la tête de la FED en 2014 (après 18 ans de carrière aux côtés d’Alan Greenspan et de Ben Bernanke) qu’elle n’avait jamais identifié une bulle sur le point d’éclater. Même son mari George Akerlof, prix Nobel d’économie 2001, n’a pas réussi à lui fournir le matériel théorique pour détecter ce genre de petit inconvénient !
Qu’elle se rassure, les problèmes attendront peut-être un mois de plus pour survenir, sachant que six des sept derniers mois de mai (2014/2020) ont été haussiers, démentant leur mauvaise réputation… dont quatre sous sa mandature.
Un seul « raté » est à noter dans cet intervalle, mais c’était en 2019, sous le mandat de Jerome Powell.
L’exception qui confirme la nouvelle règle ?