Le 3 décembre, la sphère de la tech a trébuché entraînant avec elle le monde des cryptomonnaies. Philippe Béchade passe à l’analyse.
Vendredi soir, les opérateurs ont eu peur. En effet, à une demi-heure de la clôture, ils ont craint de voir se réaliser sous leurs yeux le même scénario de « panic selling » du 26 novembre. A l’issue d’une séance, Wall Street a vécu en réalité une semaine complète sous le thème des « portes de saloon ».
C’est le Nasdaq qui a causé le plus de frayeur avec une inversion de vapeur, de 15 470 points vers 14 930 points (-2,9% vers 21h) avant d’entamer une remontée de +125 points au cours du dernier quart d’heure (en douze minutes précisément) pour en terminer à 15 085 points.
Cela fait tout de même 1 100 points perdus depuis le zénith du 22 novembre, mais l’essentiel était d’enrayer la débâcle qui se profilait avec la cassure des 15 000 points, car le support oblique des 14 800 points se rapprochait dangereusement.
C’est la seconde fois en six séances que le Nasdaq dévisse malgré une nette détente de taux (-10 points à 1,345%), alors qu’une corrélation inverse prévalait depuis novembre 2020.
L’explication est cependant limpide : le Nasdaq craint les hausses de taux (risque sur la croissance), mais craint plus encore une menace directe sur la croissance. A l’heure actuelle, les principaux risques sont les divers variants du Covid-19 débouchant sur des baisses de production en Chine, des fermetures de frontières, des restrictions sanitaires, des baisses de commandes avant les fêtes, comme l’iPhone13 d’Apple.
Et lorsque ces craintes se matérialisent, cela se solde par une réduction des « leviers » et une réduction des positions à terme, comme sur les options d’achat calls et des rachats d’options de vente puts, ce qui se traduit instantanément par une flambée du VIX.
Une crypto-crise causée par…
Il affichait jusqu’à +25% vendredi et testait un nouveau zénith annuel de 35 (vers 21h) avant de réduire son avance de moitié, vers +10,5%, à 30,75, juste en-deçà de son sommet de clôture de 31 du 1er décembre.
Et tout s’est joué à la dernière minute… même pas ! Dans les dix dernières secondes, le temps que tinte la cloche qui marque la fin de la cession.
Les day traders ont eu très chaud. Et les amateurs de « risque pur » n’ont pas été sauvés par le gong vendredi à 22h01, affichage officiel du score de clôture !
En effet, après le « de-leveraging » sur les technos, c’est un « panic selling » qui lui a succédé quelques heures plus tard sur le compartiment des crypto-actifs. Ce fut si violent entre 4h et 6h du matin samedi : un plongeon de 11 000 $ entre 53 100 $ et 42 000 $ pour arrondir sur le Bitcoin. Les médias anglo-saxons ont fait leur Une sur le « crypto-carnage » de la nuit de vendredi à samedi (heure de New York).
Ce ne sont pas moins de 500 Mds$ de capitalisation des cryptomonnaies qui se sont évaporées en une grosse dizaine d’heures, entre 15h vendredi et 5h30 du matin samedi.
Outre la perte d’argent, près de 420 000 crypto-traders ont vu leurs positions liquidées automatiquement et leurs comptes désintégrés en l’espace de moins d’une demi-journée, les investisseurs ont également vu nombre de leurs illusions anéanties. Alors qu’ils fuyaient les devises classiques, si honteusement manipulées par les banques centrales qui en font des billets de Monopoly, les crypto-fans préfèrent s’en remettre à des actifs « fiables », dont les détenteurs sont traités de façon équitable, à n’importe quel moment et n’importe quel endroit de la planète… et à qui personne ne veut de mal.
D’après les témoignages de plusieurs spécialistes samedi après-midi, l’effondrement du prix de Bitcoin ce samedi 4 décembre 2021 – mais aussi de l’Ethereum, du Cardano, du Ripple, du Dogecoin – a été en partie alimentée par le déclenchement délibéré des stop-loss par quelques grosses mains, ce qui a entraîné des liquidations massives.
Le tsunami des stop loss serait, c’est une quasi-certitude, le résultat de la manipulation du marché par les « baleines », avec une action coordonnée de type « stop hunting » (soit « chasse aux stop » en version française), avec plusieurs ordres de ventes massifs de centaines de BTC à l’approche des supports, comme cela a été reporté par Bequant, Coingecko et Coinmarket Cap.
Ces « baleines » placent soudain de gros ordres de vente sur le marché à proximité de supports bien identifiés : ils peuvent les laisser dans le carnet d’ordres et être partiellement exécutés (ils prennent alors des bénéfices avec des Bitcoin qu’ils possèdent).
Mais ils peuvent également les annuler dès que les spéculateurs paniquent, voyant surgir au-dessus de leurs têtes, ce qu’ils croient être une lame de fond qui risque de les écraser: ils revendent les BTC achetés à crédit, avec typiquement un « levier 10 ». Mais ça peut être beaucoup plus ! Cela déclenche alors une réaction en chaîne à la baisse chez d’autres spéculateurs encore plus exposés qu’eux.
Il n’y a plus qu’à renouveler l’opération (faux ordres de ventes massifs) quand la crypto a perdu -9,5% et que les « mains faibles » qui se voient en train de tout perdre, sont en proie à un vent de panique… A partir de là, les programmes de vente automatiques font le reste, plus rien ne peut arrêter la spirale.
Un exemple simple : avec 5 000 $ de dépôt, il est facile d’acheter 1 BTC (à 50 000 $, c’est juste une hypothèse, il fallait 5 500 $ vendredi matin), ou pour un « petit compte », avec 500 $, on peut acheter 1 Ethereum.
Si le BTC s’approche des -10%, le broker (Binance, Coinbase, Robin Hood, etc.) liquidera pour 45 000 $ de position pour préserver son capital, et ramène la position de son client à zéro (son dépôt de 5 000 $ est intégralement absorbé).
Mais pour un spéculateur en « levier 20 », dès -4,9% sur le Bitcoin, la liquidation automatique s’enclenche, ce qui va rapidement mettre en risque le « levier 10 », puis le « levier 5 ». Levier 5 qui à son tour, perd tout à -20%, alors qu’il pensait disposer d’une marge suffisante pour tenir en cas de turbulences.
Il y avait beaucoup d’acheteurs avec un prix de revient moyen de 58 à 59 000 $ (cours moyen depuis le 14 octobre), avec la cassure des 53 500 $, le Bitcoin et beaucoup d’autres cryptos sont rentrées en « territoire de correction » (plus de 20% de baisse par rapport aux sommets), mais c’est la cassure des 49 000 $ (ex-zénith du 15 août au 5 septembre) qui a déclenché le « sell-off ».
Et les « baleines » n’ont eu qu’à tendre l’épuisette 15% plus bas avant de faire remonter le cours de 8 000 $ (un peu moins de 20%).
Du beau travail et un nouveau record absolu ! Plus de 500 000 comptes liquidés ou ramenés à 0 $ en un week-end.
Il serait intéressant de faire un sondage auprès de ceux-là pour déterminer s’ils sont toujours déterminés à faire confiance aux cryptos pour battre l’inflation, faire un bras d’honneur aux banques centrales… et pour certains, comment ils vont se justifier auprès de gens qui ont puisé dans leurs économies, emprunter auprès de leur famille pour faire fortune en quelques semaines et s’acheter la Tesla de leurs rêves à 120 000 $ avec leur « Shiba Inu ».
Les cryptos elles-mêmes ne sont ni responsables des manipulations de marchés, ni des comportements risqués de traders du Dimanche qui jouent avec les leviers sans forcément en mesurer les risques…
Et pour ceux qui ne se sentent pas l’âme d’un trader, il reste toujours la possibilité de placer ses économies sur des protocoles de DeFi comme Anchor Protocol, pour l’exemple, qui rapporte autour de 20% d’intérêts annuels avec intérêts composés versés de façon hebdomadaire. On est très loin des pathétiques 0,5% du Livret A.