Il n’y a pas qu’à Bercy que l’on considère que se diversifier dans l’énergie est la meilleure option pour 2024. Après Bruno Le Maire, qui a décidé de placer sous la coupe de son Ministère cette problématique cruciale, voici que le groupe Veolia, que l’on connaît plutôt pour son activité dans la distribution et l’assainissement des eaux, voit dans la production d’énergie un relais de croissance idéal. Cette décennie sera celle de l’énergie, ou ne sera pas !
L’ex-Compagnie générale des eaux a annoncé, lors de son événement « Deep Dive Energy » qui s’est tenu à Londres, qu’elle entend bien devenir un énergéticien de premier plan. En valorisant sa multitude d’implantations locales, elle prévoit de se diversifier en augmentant drastiquement son activité de production d’énergie décarbonée.
Pour sa directrice générale, Estelle Brachlianoff, à l’échelle de l’Europe, le marché représente un potentiel de 500 Mds€ d’ici à 2030. De quoi transformer totalement le modèle d’affaires du groupe qui ne tire aujourd’hui qu’une dizaine de milliards d’euros de chiffre d’affaires de l’ensemble de ses activités autour de l’énergie.
L’importance de l’énergie locale n’échappe pas à Veolia
La France se base sur deux stratégies totalement opposées pour assurer l’augmentation de la production électrique nécessaire à la décarbonation de notre économie.
D’un côté, notre électricien national EDF continue de miser sur l’EPR, la centrale géante de nouvelle génération dont chaque réacteur fournira une puissance thermique de près de 4 GW (soit 1,5 GW électrique). De quoi permettre à chaque réacteur d’assurer près de 3 % de la production électronucléaire française. Mais, pour que ce scénario idéal se réalise, il faudra que ces EPR soient construits, allumés et raccordés au réseau – ce qui reste aujourd’hui du domaine du vœu pieux.
En parallèle, la grille du pays se renforce en permanence avec l’ajout de micro-sites de production. La puissance d’un champ d’éoliennes de taille moyenne ou d’une ferme photovoltaïque se compte en dizaines ou centaines de MW, soit une petite fraction d’un réacteur nucléaire. Mais ces sources d’énergie ont le mérite d’être mieux réparties sur le territoire, de produire une énergie sans utiliser de combustible nucléaire… et d’exister !
Outre les bien connues éoliennes et autres panneaux solaires, il existe une opportunité supplémentaire de créer de l’électricité sans émettre de CO2 : la valorisation des déchets organiques. Nos résidus d’activités, y compris les boues issues des élevages animaliers ou des stations d’épuration des eaux usées, sont en effet en grande partie composées de carbone et d’hydrogène – deux composés qui ne demandent qu’à produire de l’énergie qui peut être utilisée soit dans les réseaux de chaleur, soit pour la production d’électricité.
Ces tas de boues encombraient les abords des agglomérations, polluaient les sols et rejetaient dans l’atmosphère du méthane qui réchauffe l’atmosphère 25 fois plus vite que le CO2. Dans les prochaines années, ils vont devenir une ressource convoitée par les producteurs d’énergie.
Et grâce à ses activités environnementales existantes, Veolia sera aux premières loges pour valoriser ces déchets devenus matière première.
Des moyens en face des ambitions
Selon les estimations du groupe, le potentiel encore inexploité de l’énergie locale en Europe serait de 400 GW – de quoi assurer largement notre trajectoire de décarbonation à horizon 2030. Une telle puissance supplémentaire permettrait au Vieux Continent de réduire de 30 % sa dépendance envers les importations d’énergies fossiles (gaz et charbon).
Dans le détail, ce chiffre est obtenu en ajoutant « le potentiel inexploité de la bioénergie, de la chaleur et du froid résiduels, des gains d’efficacité et d’expansion des réseaux de chauffage urbain ainsi que de l’efficacité énergétique des bâtiments et des industries. » Domaines dans lesquels Veolia dispose déjà d’une expertise reconnue.
Le groupe prévoit, d’ici à 6 ans, d’augmenter de +50 % sa capacité en bioénergie et en énergies renouvelables pour atteindre les 8 GW, l’équivalent de près de 3 réacteurs de type EPR. Le recours au charbon sera totalement éliminé, et l’ensemble des points fonctionneront à la biomasse.
Sur les réseaux de chaleur, il ambitionne de se hisser à la première place européenne, attaquant frontalement Engie qui devra défendre son pré carré.
Veolia mettra aussi à profit sa flotte unique de camions de collecte de déchets, qui se compose de 1 800 véhicules sur le seul Royaume-Uni, pour offrir des services de lissage du réseau électrique. Hors des tournées, les batteries des camions qui seront électrifiés à 100 % d’ici à 2040 seront branchées au réseau et pourront être chargées ou déchargées en fonction des besoins. Veolia disposera ainsi de pas moins de 200 MW batteries, de quoi couvrir les besoins en énergie de 150 000 foyers lors des pics de consommation en soirée… et le tout sans la moindre construction de centrale supplémentaire.
Il n’y a pas que les déchets qui peuvent produire de l’énergie. Les camions qui les transportent peuvent, si besoin, se transformer en mini-centrales électriques. Photo : Veolia
Pour atteindre ces objectifs ambitieux, Estelle Brachlianoff a annoncé une mobilisation de moyens sans précédent. Les investissements dans les énergies propres vont doubler, passant à 4 Mds d’ici à 2030.
Un plan cohérent avec les enjeux
En matière de transition énergétique, il est fréquent que les grands plans stratégiques annoncés par des groupes en mal de greenwashing soient totalement déconnectés des réalités économiques et industrielles. Il est donc appréciable, une fois n’est pas coutume, de vous faire part d’une feuille de route crédible.
Sur le plan de la valorisation des déchets par exemple, les projets d’usage de la biomasse dépassent largement la disponibilité de la ressource. Les constructeurs de micro-centrales risquent de manquer rapidement de carburant. Mais Veolia, de par son activité historique, fait partie des rares groupes à pouvoir être quasi-assuré de pouvoir s’approvisionner en matière première.
Sur le plan financier, ensuite, les 4 Mds€ mis sur la table sont tout à fait cohérents avec les capacités du groupe. La somme ne représente guère que 4ans de cash-flow libre au rythme de 2022, et moins d’un an d’EBITDA.
La direction devra simplement prendre garde à surveiller le montant de la dette financière, qui a bondi à plus de 18 Mds€ en 2022 suite au rachat de Suez. Mais avec encore plus de 6 Mds€ de trésorerie, et un mur de la dette qui ne se profile qu’en 2027, le groupe a largement le temps de faire le gros dos durant la période d’argent-cher que nous traversons.
Le jeu vaut d’autant plus la chandelle que la division énergie est, et de très loin, celle dont la croissance est la plus remarquable. Si la gestion de l’eau a pu se prévaloir d’une hausse de +7 % sur les neuf premiers mois de 2023 par rapport à 2022, et la gestion des déchets d’une progression de +3,1 %, l’activité d’énergie a bondi de +30,4 % sur la même période.
Pour les actionnaires, la pilule des 4 milliards d’euros d’investissements n’est pas si dure à avaler. Même si l’enveloppe représente près de 20 % de la capitalisation boursière actuelle, elle promet de solides retours sur investissement.
Des brevets permettant de tels retraitements sont tombés dans le domaine public. Il existe, ou a existé, une importante usine de traitement des déchets au Mexique. Personne, pas même VEOLIA n’a souhaité, au début des années 2000 exploiter ces brevets et il doit en exister d’autres. Il s’agit effectivement d’une réelle possibilité comme pour d’autres déchets comme les médicaments, (sans allusion aux vaxxins périmés). L’affaire est donc sérieuse.