Venture Global, déjà épinglé par le passé pour non-respect de ses engagements de fourniture de gaz envers BP et Shell, pourrait bien réitérer ces manquements avec ses nouveaux partenaires. De telles pratiques commerciales ne peuvent qu’inciter les investisseurs à la méfiance. Si la direction utilise tous les subterfuges contractuels pour maximiser ses profits à court terme, au point de s’aliéner ses premiers clients, les potentiels actionnaires peuvent se demander quel sort leur sera réservé…
L’arrivée à la Maison Blanche de Donald Trump a galvanisé le secteur de l’énergie aux Etats-Unis. Pour les producteurs de gaz naturel comme de pétrole, le slogan « Drill, baby, drill » répété comme un mantra sonne comme une promesse de gains faciles.
Déjà, les actions des producteurs d’hydrocarbures américains s’envolent en Bourse. Et pour ceux qui ne sont pas encore cotés, le moment est idéal pour faire appel à l’épargne publique dans le cadre d’une IPO.
C’est ce qu’a décidé de faire Venture Global, un nouveau venu sur le marché du gaz naturel liquéfié (GNL) américain. Conscient que le monde a de plus en plus besoin de la précieuse molécule, et que la Russie n’est plus en mesure de répondre à la demande, Venture Global s’est lancé dans un plan massif d’investissements dans les infrastructures gazières.
L’été dernier, Venture Global a reçu son premier méthanier. Photo : VG.
Entre les sites déjà construits et ceux en projet, le nouvel énergéticien se prépare à investir plus de 50 Mds$ dans les prochaines années. Une somme gigantesque qui justifie un projet d’IPO tout aussi démesuré, l’entreprise créée en 2013 se voyant déjà peser plus lourd que les acteurs historiques.
Mais comme souvent sur les opérations menées tambour battant, les superlatifs qui s’empilent et les records qui s’enchaînent cachent une réalité moins reluisante.
Venture Global : pas encore coté, déjà décrié
Si les ambitions de Venture Global ne font aucun doute, ses pratiques ont déjà eu l’occasion de faire grincer des dents.
Entre 2022 et 2023, alors que la crise du gaz faisait rage suite au conflit en Ukraine, Venture Global a pris des mesures pour le moins contestables pour profiter de l’envolée des prix du GNL sur les marchés internationaux.
Alors qu’il avait conclu des accords à prix fixe avec BP et Shell pour la fourniture de gaz issu de son premier projet de Calcasieu Pass, VG a vendu pour plus de 17 Mds$ de GNL sur les marchés spot, l’équivalent de la capacité de 200 méthaniers. Le groupe a ainsi pu profiter des prix élevés, tout en faisant attendre ses clients historiques qui prévoyaient de recevoir du gaz au prix préalablement fixé.
Pour justifier cette pratique, le P-DG de Venture Global Michael Sabel s’est abrité derrière le fait que le site de Calcasieu Pass n’était pas encore pleinement opérationnel. Du fait de problèmes techniques, sa cadence n’était pas encore arrivée à son niveau prévu, ce qui justifiait selon lui de considérer que l’entreprise n’avait pas encore d’opérations commerciales.
Cette explication n’a pas convaincu les clients, qui se sont estimés lésés par ce manque à gagner atteignant, selon Shell, les 3,5 Mds$. Ils ont donc été une demi-douzaine à traîner VG devant les tribunaux pour tromperie.
En attendant le résultat de la procédure, Venture Global campe sur ses positions et se prépare à appliquer la même stratégie sur son second site de GNL, Plaquemines (en Louisiane).
Le site de Plaquemines durant sa construction. Photo : Venture Global
D’une capacité de 20 Mt par an, Plaquemines sera l’un des plus gros sites de liquéfaction de GNL au monde. Il s’appuiera sur pas moins de 36 unités de liquéfaction électriques d’une capacité individuelle de 1 700 tonnes de méthane par jour.
VG a déjà signé des contrats avec EDF, Shell, le Chinois CNOOC, ExxonMobil, Chevron, ou encore Petronas… mais il semblerait que ces clients, malgré leur poids, soient amenés à subir la même mésaventure que les premiers clients de Calcasieu Pass.
En décembre, les premiers mètres cubes de gaz sont sortis de Plaquemines, et ont été à leur tour vendus sur le marché spot. La justification est la même : tant que l’activité du site n’est pas considérée comme une « exploitation commerciale », VG se réserve le droit de livrer le gaz au plus offrant sans livrer ses clients de la première heure.
Quelle place pour les actionnaires ?
De telles pratiques commerciales ne peuvent qu’inciter les investisseurs à la méfiance. Si la direction utilise tous les subterfuges contractuels pour maximiser ses profits à court terme au point de s’aliéner ses premiers clients, les potentiels actionnaires peuvent se demander quel sort leur sera réservé.
Déjà, les conditions de l’IPO soulèvent quelques inquiétudes.
L’objectif initial affiché par l’entreprise était de lever 2,3 Mds$, sur la base d’une valorisation de 110,4 Mds$. Cela lui aurait immédiatement donné une capitalisation boursière plus de deux fois supérieure à celle de Cheniere Energy, un pionnier du GNL dont le chiffre d’affaires annuel dépasse déjà les 20 Mds$ par an.
Non seulement la valorisation est particulièrement ambitieuse, mais coter à peine plus de 2 % du capital revient à organiser la pénurie d’actions. Une pratique malheureusement répandue, mais rarement de bon augure pour les actionnaires. C’est notamment ce qu’avait fait le constructeur VinFast lors de son IPO, dont je vous parlais en août 2023. Comme prévu, le dossier a fait l’objet d’un squeeze sur les premiers jours de cotation, avec une progression de +350 % du titre… avant une chute de -96 % dans les mois qui ont suivi.
Les IPO avec un flottant anecdotique, comme celle de VinFast en 2023, font rarement le bonheur du grand public.
Moins de dix jours après l’annonce de son projet d’IPO, Venture Global a d’ailleurs surpris les analystes en revoyant les modalités de l’opération. Alors que le groupe prévoyait d’émettre 50 millions d’actions d’une valeur comprise entre 40 $ et 46 $, Reuters a rapporté que l’opération porterait finalement sur 62 millions d’actions d’une valeur comprise entre 32 $ et 38 $.
Le plus significatif n’est pas tant le montant de la levée, qui passe de 2,3 Mds$ à 1,9 Md$, mais la valorisation retenue. Celle-ci a été brutalement réduite, passant de 110 Mds$ à 65 Mds$, soit une baisse 40 %.
Ce cas de figure se produit lorsque les entreprises réalisent qu’elles ont été si gourmandes qu’aucun investisseur ne mord à l’hameçon lors du roadshow. La direction doit alors rapidement revoir sa copie pour éviter non seulement un échec du placement initial des titres, mais – pire encore – un effondrement de la valeur lors des premières heures de cotation.
A l’écriture de ces lignes, le résultat de cette baisse de prix de dernière minute n’est pas encore connu. Une chose est sûre : pour qui veut s’exposer au marché du GNL américain, il existe des entreprises bien plus transparentes que Venture Global.