La France, future plaque tournante européenne du lithium ? Peu d’investisseurs le savent, mais nous disposons, en la matière, d’un sous-sol conséquent. En fait, tout un écosystème tricolore autour de l’extraction et de la purification de lithium est en train de voir le jour, et il pourrait faire de notre pays un des plus grands exportateurs mondiaux…
C’est une quasi-certitude : dans les dix prochaines années, la production mondiale de lithium aura le plus grand mal à répondre à la demande.
En attendant, la démocratisation de l’hydrogène-énergie, les batteries au lithium représentent la seule manière dont nous disposons pour stocker de l’énergie électrique à coûts, poids et encombrement acceptables. Voitures électriques et fermes de stockage pour pallier l’intermittence de production de l’électricité d’origine renouvelable engloutissent déjà des dizaines de milliers de tonnes de lithium par an… alors que leur essor n’en est qu’à ses débuts.
Industriels et pouvoirs publics ont rapidement compris que le marché du lithium allait être un Far-West où la règle du « chacun pour soi » ferait loi. Comme pour le pétrole ou le gaz, chacun cherche dès aujourd’hui à sécuriser ses approvisionnements à moyen et long termes.
L’année passée, la Chine a acquis des réserves minières représentant plus de 6,4 millions de tonnes de lithium, quasiment autant que la totalité des transactions effectuées à l’échelle de la planète en 2020.
En pleine pandémie, Tesla a discrètement acheté des droits miniers pour extraire du lithium dans le Nevada. Cet été, Elon Musk a remis le sujet sur la table en comparant la purification du lithium à « de l’impression monétaire » tant elle promet des gains faciles.
Dans le marché du lithium, tout reste à faire. Encore ultra-concentré sur les trois acteurs principaux que sont l’Australie, le Chili et la Chine, toute capacité d’extraction ou de purification construite sera assurée de tourner à plein régime.
Répartition de la production annuelle de lithium (en tonnes)
(infographie : Statista)
Si posséder ses propres capacités de production de lithium est un gage de résilience pour les entreprises de la transition énergétique qui se prémunissent ainsi contre des possibles pénuries, il s’agit pour les Etats d’une véritable question de souveraineté.
La France est-elle condamnée, comme pour les hydrocarbures fossiles, à dépendre du bon vouloir des pays étrangers ? Pas nécessairement…
Peu d’investisseurs sont au courant, mais nous disposons d’un sous-sol capable de fournir des quantités non négligeables de lithium. Tout un écosystème tricolore autour de l’extraction et de la purification est en train de voir le jour, et il pourrait faire de notre pays un des plus grands exportateurs mondiaux.
Le lithium comme sous-produit industriel ?
Le concept est étonnant pour une ressource minière qui s’arrache sur les marchés, mais le lithium peut être obtenu comme sous-produit d’autres activités industrielles.
Plus précisément, il est présent dans les saumures issues des puits de forage souterrain, comme ceux utilisés pour la géothermie profonde. Considérées comme une « eau sale » puisque contenant de nombreux polluants, les saumures contiennent également du carbonate de lithium. Achevé en décembre 2021, le projet EuGeLi a prouvé la faisabilité de l’extraction du carbonate de lithium desdites saumures avant réinjection dans le sous-sol. Un procédé innovant, développé par Eramet et l’IFPEN (successeur de l’Institut français du pétrole) a permis d’extraire le lithium des saumures géothermales grâce à des colonnes d’extraction remplies d’un matériau d’adsorption qui capte de façon sélective le lithium.
Principe de l’extraction du carbonate de lithium des saumures (infographie : EuGeLi)
L’installation-pilote a permis d’obtenir plusieurs premiers kilogrammes de carbonate de lithium de qualité batterie, prouvant la viabilité technique du processus.
Or, la France est une nation de géothermie. Depuis le 14e siècle, notre pays fait partie des pionniers de la récupération d’énergie souterraine, et de nombreux forages sont en activité en Alsace et en Ile-de-France.
Selon Béatrice Pandelis, directrice générale déléguée d’ES Geolith, les forages géothermiques prévus d’ici à 2030 permettraient « potentiellement de sortir 10 000 tonnes de lithium », ce qui placerait la région qui va de l’Alsace à la vallée du Rhin en Allemagne devant l’Argentine en termes de production de carbonate de lithium… Le tout sans activité minière qui défigure les paysages et cause d’énormes dommages écologiques.
Du lithium ultra-pur made in France
Non loin des sites de géothermie alsaciens sera installée, d’ici à 2025, la première raffinerie française de lithium. Partageant avec Elon Musk l’idée que raffiner le lithium sera une « machine à cash », la startup strasbourgeoise Viridian veut faire du nord-est du pays une plaque tournante européenne du lithium.
Important des saumures d’Amérique latine pour profiter d’une teneur en lithium jusqu’à dix fois supérieure à celle des saumures françaises, Viridian les purifiera et les transformera en hydroxyde de lithium, plus qualitatif.
A ses débuts, l’usine installée à Lauterbourg, près de Strasbourg, pourra produire jusqu’à 25 000 tonnes de lithium par an. A la fin de la décennie, la production pourra atteindre les 100 000 tonnes par an – de quoi faire de la startup un acteur d’envergure mondiale.
Des technologies disruptives pour baisser les coûts
Dans un secteur où l’inertie est traditionnellement forte, la jeune pousse devra convaincre ses partenaires potentiels, clients comme fournisseurs, qu’elle dispose de technologies suffisamment différentes pour justifier de lui faire confiance face aux acteurs historiques.
L’argument est déjà tout trouvé : selon son fondateur, l’hydroxyde de lithium produit dans la raffinerie alsacienne aura une intensité carbone 5 fois inférieure à celle des procédés classiques. « Son intensité carbone est de 15 à 20 kg de CO2 émis par kg de produit fini. Avec notre usine nous aurons une intensité de 3,7 kg en incluant le transport et l’approvisionnement », indiquait cet été Rémy Welschinger dans un entretien à La Tribune. L’argument est de poids dans un contexte d’augmentation exponentielle des coûts de l’énergie et de trajectoire ambitieuse de décarbonation de l’économie.
Et, avec des prix qui devraient se maintenir à un niveau historiquement haut dans les prochaines années, les marges que pourront dégager les startups du secteur sont alléchantes.
Les prix réels du lithium (en bleu), font déjà mieux que les prévisions les plus optimistes
(infographie : GermanLithium/HWS AG / GLP)
Intéressant mais que devient le reliquat de saumure qui aura traversé l’atlantique jusqu’à notre territoire ?