TotalEnergies s’apprête à distribuer, à ses actionnaires, un premier acompte au titre du dividende 2023. La question se pose : faut-il acheter l’action avant le détachement ? De nombreuses valeurs en perte de vitesse ont pour habitude d’offrir des rendements faciaux alléchants… Est-ce le cas de l’énergéticien qui a fait fortune sur la vente d’hydrocarbures et dont les stocks ne font que s’amenuiser ?
Ce mercredi 20 septembre, le groupe TotalEnergies détachera un coupon de 0,74 € par action. Ce premier acompte au titre du dividende 2023 représente une hausse de 7 % par rapport à 2022, et il sera suivi dès le 2 janvier d’un deuxième acompte en hausse de 7,25 % sur un an.
Hors dividende exceptionnel, le titre devrait ainsi offrir un rendement de près de 5 % cette année – une performance d’autant plus remarquable que le cours est en hausse de +25 % sur un an.
Est-il raisonnable d’acheter le titre avant le détachement de l’acompte ?
Cette question se pose pour toutes les valeurs de rendement.
Acheter une action avant le paiement d’un coupon est intéressant lorsque le cours a l’habitude de remonter pour effacer le « gap » créé le jour du détachement. C’est le cas pour les entreprises solides, ou en croissance, dont le cash flow finance la rémunération des actionnaires.
En revanche, de nombreuses actions en perte de vitesse offrent des rendements faciaux alléchants, mais la baisse continue de leur capitalisation boursière vient effacer par des moins-values latentes les gains obtenus grâce aux dividendes. C’est le cas des actions d’entreprises donc l’activité se contracte inexorablement. Les actionnaires de l’ancien groupe Pages Jaunes (désormais SoLocal), considéré comme une valeur de fonds de portefeuille jusqu’aux années 2010, s’en souviennent après avoir perdu 99,99 % de leur épargne en 15 ans.
Qu’en est-il de TotalEnergies, qui a fait fortune sur la vente d’hydrocarbures, dont les stocks ne font que s’amenuiser et dont l’usage est de plus en plus décrié ?
Les dernières annonces prouvent que le groupe compte bien décarboner son activité pour rester un rouage irremplaçable de notre économie. De quoi continuer à générer d’importants cash-flows et rémunérer ses actionnaires sur le long terme.
TotalEnergie fait tapis sur l’hydrogène vert
Beaucoup prévoient – voire souhaiteraient – que l’activité du groupe pétrolier s’assèche progressivement. Les généreux dividendes ne seraient qu’une manière de rendre l’argent aux actionnaires avant de fermer boutique.
En réalité, le groupe compte bien survivre à la transition énergétique, et même d’être un fournisseur d’énergie de premier plan dans le monde de l’après-pétrole. La direction avait déjà annoncé son intention de devenir un producteur d’électricité renouvelable d’ampleur internationale, avec une capacité brute installée de production d’électricité passée de 0,7 GW en 2017 à plus de 10 GW fin 2021, avec les 100 GW en ligne de mire pour 2030.
A la fin de la décennie, TotalEnergies devrait ainsi être à la tête d’un parc de renouvelables dont la puissance-crête représentera deux fois et demi la puissance actuelle de notre parc nucléaire !
Outre ses capacités de production d’électricité verte en hausse exponentielle, le groupe a frappé fort il y a quelques jours en publiant un appel d’offres d’un montant historique pour l’achat d’hydrogène décarboné.
Pour verdir son activité européenne de raffinage, très émettrice de CO2, il prévoit d’acheter 500 000 tonnes par an d’hydrogène vert, pour un budget annuel qui devrait dépasser les 2 Mds€.
La somme a de quoi faire tiquer les actionnaires puisqu’elle représente l’équivalent de 10 % du résultat net dégagé en 2022… mais elle s’explique par le gigantisme de la commande : ces 500 000 tonnes représentent plus de la moitié de l’hydrogène carboné produit en France chaque année.
En d’autres termes, TotalEnergies vient d’annoncer qu’il était prêt à acheter 50 % du marché total de l’hydrogène français, à condition que les vendeurs basculent sur un mode de production renouvelable.
Il s’agit d’un événement jamais vu dans la transition énergétique. Imaginez un instant qu’un énergéticien annonce être prêt à acheter 50 millions de barils de bio-carburant chaque jour (la moitié de la production pétrolière)… cela signerait la fin de l’OPEP et la naissance d’un tout nouvel écosystème.
Même si l’hydrogène ne représente qu’une petite fraction de notre consommation d’énergie, c’est ce coup de poker que vient de faire TotalEnergies dans ce segment de marché.
Les producteurs aux anges
Pour les spécialistes de la production d’hydrogène vert, la nouvelle sonne comme une bénédiction.
Le secteur sait comment obtenir de l’énergie verte grâce aux éoliennes et aux panneaux photovoltaïques. Ses entreprises savent fabriquer, sans émissions supplémentaires de CO2, de l’hydrogène vert par électrolyse. Elles savent également stocker le gaz sous pression, voire en le transformant en méthane ou en ammoniac.
La seule chose qu’il manquait pour que ce marché décolle était des acheteurs prêts à payer leur hydrogène vert de 4 €/kg à 6 €/kg en fonction de la technologie utilisée et du coût marginal de l’électricité, alors que l’hydrogène gris issu du gaz naturel coûte deux à trois fois moins cher.
En s’engageant sur ces volumes colossaux, TotalEnergies va simultanément tuer le marché de l’hydrogène gris (ces 500 000 tonnes d’hydrogène vert venant en substitution des usages actuels) et faire changer d’ordre de grandeur le marché mondial de l’hydrogène vert.
Il est en effet certain qu’un tel approvisionnement ne pourra être assuré par les seuls producteurs français. Chaque tonne d’hydrogène vert produit nécessitera en effet 70 MWh, soit l’énergie fournie en moyenne par une éolienne en une semaine dans nos contrées.
Les 500 000 tonnes commandées par TotalEnergies mobiliseront donc à elles seules la production complète, en année pleine, de près de 9 000 éoliennes… soit plus que le nombre de turbines en activité sur notre territoire !
Selon toute probabilité, le marché ne pourra répondre à cette demande qu’en mobilisant une myriade de petits producteurs aux quatre coins de la planète. TotalEnergies réussit un coup de maître en faisant naître, pour son seul bénéfice, un écosystème mondial de production, transport et stockage d’hydrogène vert.
Ce marché, que les industriels et pouvoirs publics attendaient avec impatience mais sans oser sortir le chéquier, vient de fait de prendre vie avec l’arrivée d’une demande très supérieure à l’offre… pour le seul bénéfice de l’énergéticien français.
Dans la première moitié du XXe siècle, l’accès aux terrains pétrolifères avait fait la fortune des grands groupes pétroliers. Après 1973, ce fut la capacité à maintenir des relations diplomatico-commerciales avec des régimes hostiles qui fut la clé du succès (Total et Elf étant des références en la matière). Dans l’après-pétrole, c’est l’accès aux sources d’énergies décarbonées dont les capacités de production sont encore très inférieures aux besoins mondiaux qui seront vitales. A cet effet, TotalEnergies vient de prendre une sérieuse longueur d’avance sur ses concurrents…