Avec plus de 75 000 overdoses chaque année, le fentanyl est au cœur d’une crise sanitaire sans précédent aux Etats-Unis. Face à cette urgence, l’administration Trump a décidé de faire de la lutte contre cet opioïde une priorité. Mais au-delà des préoccupations de santé publique, cette bataille a aussi des dimensions économiques et politiques, puisque le fentanyl illégal qui circule sur le sol américain est souvent produit au Mexique, à partir de substances chimiques importées de Chine…
Mille milliards de dollars d’activités commerciales.
80 pays pendus au téléphone.
Le fentanyl, les semi-conducteurs et les produits pharmaceutiques au cœur de la tempête.
Ce n’est pas l’intrigue d’un thriller géopolitique mais le programme commercial de Trump en 2025.
Et je viens juste de m’entretenir avec la personnalité qui a contribué à élaborer son projet : Wilbur Ross.
Ross est investisseur milliardaire, et c’est également l’ex-Secrétaire au commerce du premier gouvernement Trump (de 2017 à 2021).
Avant la politique, il s’est fait un nom à Wall Street, où on l’a surnommé le « Roi des faillites », car il s’était spécialisé dans le rachat d’entreprises en difficulté (dans les secteurs de l’acier, du charbon, du textile et de la banque) qu’il restructurait pour en faire des sociétés rentables.
Il est également le dernier invité en date de mon podcast. (Vous pouvez accéder au podcast en cliquant sur le lien à la fin de cet article).
Voici ce que j’ai appris lors de cet entretien…
Des tarifs douaniers universels ? Une première !
Ross a débuté l’interview par ce que l’on sait déjà : ce que Trump est en train de faire est inédit.
« C’est d’un niveau de complexité qui est assez nouveau dans l’univers des droits de douane ».
Il ne s’agit pas que des tarifs douaniers universels, mais également de ceux qui sont spécifiques à certains produits, à certains pays et au levier diplomatique.
J’ai demandé à Ross si ce n’était pas semblable à des tarifs douaniers « Smoot-Hawley » version 2.0.
Il m’a répondu que non, car cette fois, Trump ne tente pas seulement de protéger l’industrie américaine.
Il a trois objectifs simultanés :
- réduire le déficit commercial ;
- engranger des recettes fédérales (pour financer les baisses d’impôts) ;
- obtenir des résultats stratégiques (comme bloquer les exportations de fentanyl).
Ce dispositif n’est pas un fusil d’assaut mais une arme de précision dotée d’un silencieux, d’une visée laser et d’un remboursement d’impôt intégré.
Tarifs douaniers : la tactique du fentanyl
Ce que la plupart des gens ignorent, c’est que Trump est extrêmement sérieux à propos de la Chine et du fentanyl.
« A Pékin, si vous vendez du fentanyl dans les rues, vous risquez la peine de mort », m’a dit Ross. « Mais le pays subventionne les exportations de cette substance qui tue les Américains ».
La Chine peut condamner à mort les dealers locaux mais autorise l’exportation de précurseurs chimiques vers le Mexique. La majeure partie finit aux Etats-Unis. La Chine sait à quel point c’est dangereux mais ferme les yeux car ce ne sont pas ses citoyens qui meurent.
Ross dit que Trump en fait une affaire personnelle. Il veut que cela cesse. Et il associe cette problématique aux négociations commerciales. Pas pour proférer des menaces, mais pour en faire un levier de négociation.
Les terres rares, les produits pharmaceutiques, et le problème Apple
Le problème, c’est que les Etats-Unis sont dépendants des chaînes d’approvisionnement chinoises, notamment pour les produits Apple, les médicaments génériques, les semi-conducteurs et les vitamines.
Ross ne le nie pas, mais il affirme que la relocalisation s’est amorcée et qu’elle prend corps avec les nouvelles politiques de Trump.
Et les terres rares ? C’est compliqué. Les Etats-Unis possèdent ces ressources. Mais ils ne les transforment pas car c’est polluant, et personne ne veut avoir une raffinerie dans son voisinage. Alors ils expédient tout vers la Chine, qui pollue son territoire en les raffinant, puis ils les récupèrent.
Ross : « Cela n’améliore pas l’état de la planète qu’elles soient raffinées en Chine au lieu d’ici [aux Etats-Unis] ».
C’est logique. Mais l’EPA (agence américaine de protection de l’environnement) n’apprécie probablement pas cette logique.
Inflation ? Récession ? Ou ni l’un ni l’autre ?
Les tarifs douaniers provoquent-ils l’inflation ? Non.
Les tarifs douaniers n’ont pas provoqué d’inflation entre 2018 et 2020, malgré la panique dans les médias. Ross affirme que les arguments concernant l’inflation relèvent plus de la politique que de l’économie actuellement.
J’ai évoqué les déclarations de Jerome Powell [NDLR : le président de la Fed], selon lesquelles les tarifs douaniers allaient relancer l’inflation.
Ross a souri et déclaré : « Je pense qu’il se cache derrière cet argument pour justifier de ne pas baisser les taux d’intérêt ».
En attendant, Trump veut réduire les coûts de l’énergie, de la santé, et faire augmenter les recettes fiscales.
Quel est son objectif ? Taxer les importations au lieu de taxer les revenus.
Ross a également rappelé quelques subtilités concernant le projet fiscal. Grâce à lui, la nouvelle administration espère :
- pérenniser les allègements fiscaux accordés par Trump en 2017 ;
- défiscaliser les pourboires et les heures supplémentaires ;
- inciter les entreprises à produire sur le sol américain ;
- inciter les étrangers à investir sur le sol américain.
Et, oui, il a également expliqué pourquoi Trump voulait le Groenland. C’est évidemment pour les terres rares.
L’esprit à l’origine des décisions
Ces éléments ne représentent qu’une partie de notre entretien.
Que l’on adore Trump ou qu’on le déteste, il faut comprendre comment il voit les choses.
Et là, Ross vient de nous offrir un véritable guide.
Et même s’il a raison sur seulement 50 % de ses prévisions, il faut reconnaître que nous sommes entrés dans un nouveau type d’économie. Une économie où les tarifs douaniers ne sont plus seulement un outil commercial pour les Etats-Unis. Ils servent également de système fiscal, de levier de politique étrangère, et de plan de relance (« stimulus ») national. C’est une feuille de calcul transformée en arme.
Vous n’êtes pas obligé d’être d’accord mais vous devez savoir ce qui vous attend.
Et grâce à Wilbur Ross, on le sait un peu mieux.
Vous pouvez accéder à l’entretien dans son intégralité en cliquant ici.
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