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Spiritueux de luxe : quand l’intemporel devient risqué

By 28 mars 2025No Comments

Longtemps considérées comme des valeurs refuges, les entreprises de vin et de spiritueux de luxe souffrent aujourd’hui d’une réalité économique bien moins rose. Entre une demande en berne, des pressions géopolitiques croissantes et des structures financières fragiles, le secteur, jadis synonyme de prestige, est désormais sous haute tension. Un investissement dans ces entreprises n’est plus une évidence, et pour les portefeuilles à long terme, mieux vaut regarder ailleurs.

Pendant longtemps, les valeurs liées au vin et aux spiritueux de luxe ont été considérées comme des refuges. Des marques fortes, des savoir-faire séculaires, un prestige international… Sur le papier, tout semblait réuni pour séduire les investisseurs. Pourtant, derrière le vernis doré des bouteilles de champagne et des barriques de grands crus, une réalité économique plus trouble se dessine. Aujourd’hui, il convient d’ouvrir les yeux : ce secteur est devenu un pari dangereux.

Des valorisations historiquement faibles… mais pour de bonnes raisons

Beaucoup d’analystes font valoir que les valorisations des entreprises du secteur – Rémy Cointreau, Lanson-BCC, Laurent-Perrier, TFF Group, Oeneo, etc. – sont historiquement basses. C’est vrai. Les multiples ont rarement été aussi comprimés. Mais attention à ne pas confondre « bon marché » et « bonne affaire ».

Le coeur du problème réside dans la structure bilancielle de ces sociétés. Leur principal actif ? Du stock. Des bouteilles en cours de maturation, des barriques remplies d’alcool vieilli, des hectares de vignes aux coûts explosés. Or ce stock est valorisé selon les prix que les entreprises espèrent tirer demain de leur production. Mais espérer n’est pas vendre, et c’est là que les choses se compliquent.

Une valorisation incertaine… pour une demande en berne

Les prix des spiritueux haut de gamme ont explosé ces dernières années, portés par un effet richesse post-COVID et une appétence pour les produits premium. Mais les hausses de prix ont fini par atteindre leurs limites. Même dans le luxe « classique », la capacité à faire passer de nouvelles hausses s’essouffle. Les résultats récents de LVMH l’illustrent bien : la dynamique s’essouffle en maroquinerie, dans les vins et les spiritueux.

La situation est encore plus délicate pour les pure players. Lorsqu’une société comme TFF Group, spécialisée dans la tonnellerie, dépend d’un marché sous pression, elle n’a ni diversification, ni relais de croissance pour compenser. Et lorsque la dette s’ajoute à la fragilité structurelle, le cocktail devient explosif.

Une génération qui boit moins… et des marchés en transition

Ajoutons à cela une tendance sociétale profonde : la jeunesse, notamment en Chine, consomme de moins en moins d’alcool. Cette mutation des modes de vie pèse lourdement sur les perspectives de croissance dans des zones qui étaient jusqu’alors des eldorados pour les spiritueux français.

Le Japon, autrefois fervent acheteur de grands crus et de champagnes millésimés, voit sa population décliner, ce qui réduit structurellement le vivier de consommateurs.

Restent les Etats-Unis, dernier grand marché à fort potentiel. Mais là aussi, l’horizon s’assombrit…

Le spectre Trump : la menace de taxes douanières à 200%

Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche inquiète l’ensemble de la filière viticole française. Déjà sous sa première administration, des taxes de 25% avaient fait fondre les exportations vers les Etats-Unis, principal marché à l’export pour le vin français. Aujourd’hui, le candidat républicain évoque des surtaxes allant jusqu’à 200% sur les alcools européens, en représailles aux taxes européennes sur le bourbon américain.

Les conséquences se font déjà sentir. De nombreux importateurs américains ont suspendu leurs commandes dans l’attente de décisions claires. Certains conteneurs ont même été bloqués à quai, de peur de se retrouver frappés par ces droits prohibitifs. Le marché est suspendu aux arbitrages de Bruxelles et de Washington, mais l’épée de Damoclès est bien là.

Un effet ciseau dangereux pour les entreprises

Si les taxes américaines venaient à être mises en place, les marges seraient laminées. Or, dans ce secteur, les marges dépendent d’une capacité à vendre à un prix élevé des produits dont le coût de stockage est important. En cas de chute de la demande ou de blocage à l’export, la situation peut rapidement se dégrader.

Un acteur comme TFF, par exemple, a engagé d’importants investissements pour se développer sur de nouveaux marchés et produits. Cela signifie des CapEx élevés, financés par de la dette. Si les ventes ralentissent ou les prix baissent, le levier devient très vite un piège. D’autant que les actifs mis en face de cette dette sont volatils, car fondés sur la valeur présumée de bouteilles stockées qui ne trouveront peut-être jamais preneur au prix espéré.

Et quand la dette pèse, les banques deviennent plus frileuses. Si elles perdent confiance dans la valeur de ces stocks, le financement du besoin en fonds de roulement peut se tarir. Le risque de devoir se refinancer dans des conditions défavorables devient alors bien réel.

Les marques sont-elles vraiment éternelles ?

Beaucoup se rassurent en citant la fameuse phrase de Steve Jobs à Bernard Arnault : « Apple n’existera peut-être plus dans cinquante ans, mais Moët & Chandon existera encore. » C’est beau, mais ce n’est pas suffisant. Ce genre de croyance a d’ailleurs contribué à des excès dans l’évaluation des vignobles : les prix des terres viticoles ont flambé, dopés par des achats passion (voire statutaires) de milliardaires.

Mais ce mouvement semble aujourd’hui arriver à son terme. En témoignent les premières reventes à forte décote de vignobles bordelais par des investisseurs chinois désillusionnés. Quand un actif devient un fardeau, même les symboles les plus prestigieux sont remis en question.

Préserver son portefeuille : rester à l’écart

En conclusion, malgré une valorisation superficiellement attractive, le secteur des spiritueux de luxe est aujourd’hui miné par une série de risques systémiques : ralentissement de la consommation, instabilité géopolitique, structure bilancielle fragile, surinvestissement et pression concurrentielle croissante.

Plutôt que de s’aventurer sur ces valeurs à la mode d’antan, mieux vaut regarder du côté d’autres segments massivement décotés mais plus sains financièrement – les sociétés de services numériques (ESN) ou certaines industrielles délaissées.

A l’heure actuelle, les TFF, Oeneo et autres acteurs périphériques des spiritueux ne méritent plus leur place dans un portefeuille de long terme. Le champagne n’est peut-être plus à déboucher… mais à vendre.

Arthur Toce

Arthur Toce a fait Epitech et investit en Bourse depuis qu’il a 15 ans. Après avoir travaillé chez Orange et SoftBank, il se consacre désormais en solo à sa passion : le capital-risque et l’investissement dans les technologies. Il conseille plusieurs startups dans le domaine de la blockchain et du esports et organise d’ailleurs un des plus gros tournois de Smash Bross européen.

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