Shell abandonne les énergies renouvelables pour se recentrer sur les hydrocarbures. Lors du Japan Energy Summit, le Directeur général Wael Sawan a clarifié la nouvelle stratégie du groupe, mettant en avant les raisons financières derrière cette décision et l’importance croissante du gaz naturel dans le portefeuille du groupe.
Dire que l’énergéticien Shell (LON: SHEL) est un habitué des revirements est un euphémisme. Après un virage volontariste vers les énergies renouvelables, suivi d’un demi-tour tout aussi brutal pour se recentrer sur les hydrocarbures, les actionnaires ont appris à faire preuve de tolérance face aux changements stratégiques à répétition.
Plus récemment, c’est le feuilleton du potentiel rachat de BP qui a défrayé la chronique, laissant la sphère financière fantasmer sur la naissance d’un nouveau géant européen. Là encore, le rapprochement qui semblait, sinon acquis, au moins en cours de préparation n’aura certainement pas lieu malgré les rumeurs insistantes relayées par le Wall Street Journal la semaine dernière.
Fin juin, le Directeur général du groupe Shell est revenu sur le sujet lors du Japan Energy Summit. Lors d’un échange sans langue de bois devant un parterre de décideurs, Wael Sawan est venu clarifier sa stratégie pour les prochaines années : un all-in sur les hydrocarbures et un recentrage sur les atouts intrinsèques du groupe plutôt que sur la croissance externe.
Chiffres à l’appui, il a justifié ces décisions stratégiques à l’aune du cash-flow qu’elles permettront de générer. Une vision plus financière que politique que les actionnaires ne pourront qu’apprécier, au vu de l’importance grandissante que prend leur rémunération dans les décisions de la Direction du groupe.
Le DG de Shell, Wael Sawan répond aux questions de Bloomberg lors du Japan Energy Summit. Photo : E. Henri
Shell : Mea culpa sur les renouvelables, plein feu sur le gaz naturel
Amené à clarifier sa position par Shery Ahn (Bloomberg), Wael Sawan n’a eu d’autre choix que de revenir sur l’abandon des investissements dans les renouvelables. Après un premier tour de vis en 2024, la division « énergies vertes » de Shell a connu un véritable coup d’arrêt au printemps avec l’abandon des mégaprojets solaires et éoliens au Brésil. Une décision qui a sidéré les marchés sur le moment, sachant que le groupe avait consacré pas moins de 3,5 Mds$ à la transition énergétique en 2022, et plus de 5,6 Mds$ en 2023.
Mais pour son Directeur Général, Shell n’avait en réalité guère le choix. La raison est purement financière : que ce soit pour la construction, l’exploitation, ou la maintenance des parcs de production d’électricité, Shell n’a jamais réussi à générer plus de valeur ajoutée que la concurrence.
Face à des start-ups capables de faire preuve de réactivité et à d’autres grands énergéticiens comme TotalEnergies (EPA: TTE) qui parviennent à profiter d’économies d’échelle, Shell n’est pas parvenu à créer d’avantage concurrentiel. Le groupe laisse donc la place aux acteurs plus capables de profiter de ce marché naissant.
Pour autant, malgré la fin des investissements dans l’électricité renouvelable, le Britannique ne compte pas s’engager dans une trajectoire de décroissance. Si ses activités pétrolières devraient rester stables voire baisser légèrement, le gaz naturel est vu comme le principal vecteur de développement.
Outre la demande européenne, qui promet d’être d’autant plus dynamique que le Vieux Continent prévoit désormais de se passer totalement de gaz russe, le reste de la planète fait de plus en plus la part belle à cette énergie peu carbonée.
En Chine et en Inde, les centrales à gaz sont plébiscitées pour leur capacité à sortir rapidement de terre et pour la facilité avec laquelle elles peuvent être pilotées pour répondre à l’intermittence des réseaux. L’engouement va jusqu’à l’Asie du Sud-Est et l’Océanie, et la géographie de ces lieux de consommation éloignés des grands pays producteurs (Qatar, Etats-Unis, Russie) rend le transport du GNL par navires incontournable.
Les navires de GNL de Shell sillonnent déjà la planète. Photo : Shell
Quand Shell profite du peak gas
Selon Wael Sawan, le marché du gaz naturel devrait bondir de 60 % en volume d’ici à 2040. Mieux encore pour l’énergéticien, l’épuisement des champs gaziers historiques va paradoxalement être l’occasion d’engranger des profits supplémentaires.
De nombreux anciens pays producteurs vont voir leurs capacités d’extraction de gaz diminuer drastiquement dans les prochaines années, que ce soit pour des questions d’épuisement des réserves ou par manque d’investissements.
Certains, comme la Malaisie et l’Egypte, sont même déjà au point d’inflexion et sont contraints d’importer du gaz à certaines périodes de l’année. Même l’Indonésie va devoir importer massivement du gaz naturel, la croissance de sa demande intérieure s’avérant bien plus rapide que son aptitude à installer des capacités de production supplémentaires.
Shell prévoit de répondre à ce besoin croissant en GNL en s’impliquant, sinon dans l’extraction, du moins dans le transport du gaz : en très bon termes avec la nouvelle administration américaine, le groupe compte assurer le lien entre les producteurs de gaz américains et les consommateurs asiatiques.
Une rentabilité quasi inédite sur le marché
Avec ces relais de croissance, Shell prévoit une forte augmentation de sa génération de cash-flow jusqu’à la fin de la décennie. Sachant que le groupe avait généré plus de 39,5 Mds$ de cash-flow libre l’an passé, les actionnaires peuvent s’attendre à voir ce chiffre monter à près de 64 Mds$ d’ici à 2030.
Cette excellente rentabilité opérationnelle a déjà permis de générer un résultat net ajusté de 3,76 $ par action l’an passé, dont 1,39 $ a été rendu aux actionnaires sous forme de dividende. Une rémunération directe à laquelle s’ajoutent les rachats d’actions, qui atteignent désormais un rythme trimestriel de 3,5 Mds$. C’est ainsi l’équivalent de 6,5 % de la capitalisation boursière qui est neutralisé en année pleine.
Ce haut niveau de rentabilité interne impose un plancher de rentabilité aux rachats que peut envisager la direction… et c’est d’ailleurs ce critère qui a bloqué le projet d’absorption de BP. Avec une génération de cash-flow dépassant les 13,6 % du chiffre d’affaires, Shell est au bas mot deux fois plus rentable que BP et ses 6,5 %.
Pressé d’indiquer comment il allait mettre à profit, à court terme, la montagne de cash dont dispose le groupe, Wael Sawan a répondu non sans fierté : « Je vais l’investir. Et aujourd’hui je ne connais rien de plus rentable que d’acheter des actions Shell ». Avec 49 Mds$ en réserve, les actionnaires peuvent compter sur un nouveau cycle de rachat d’actions. De quoi renvoyer rapidement le titre vers ses plus-hauts historiques, avant de profiter de la manne du GNL jusqu’en 2030.