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Renault vs Stellantis : que le match (re)commence !

By 6 mars 2023mai 15th, 2023No Comments

Renault et Peugeot se sont longtemps disputé le leadership de l’automobile en France. Pendant que Peugeot, longtemps fragilisé, fait un retour fracassant au sein de Stellantis, Renault tourne la page de l’affaire Carlos Ghosn derrière son nouvel homme fort, Luca de Meo. Le match entre les deux champions s’annonce passionnant.

 

Lors de son arrivée à la direction du groupe Renault durant l’été 2020, Luca de Meo a eu la lourde tâche de redresser un paquebot industriel englué dans un encombrant héritage stratégique.

L’ancienne Régie Nationale s’était en effet perdue dans son alliance avec Nissan. La collaboration avec le constructeur japonais, qui devait ouvrir au groupe tricolore les portes du marché asiatique, avait fait long feu. Les différences culturelles, les conflits d’agendas politiques et des économies d’échelle toutes relatives ont progressivement transformé le mariage plein d’espoirs en une cohabitation forcée.

L’arrestation et la mise en examen de Carlos Ghosn fin 2018 par le Japon (sur dénonciation de Nissan) furent certainement le coup de grâce pour Renault, et le signe qu’une remise à plat de la stratégie des années 2000 était inéluctable.

Cruauté du calendrier, le début des années 2020 fut également le moment où le groupe PSA, que l’on donnait pour mort dix ans auparavant, réussissait une fusion inattendue avec Fiat Chrysler pour devenir le géant Stellantis. A l’affront industriel s’ajoutait une humiliation stratégique car Renault étudiait, dès 2019, un rapprochement avec la société italo-américaine.

Certains ont vu dans cette série de revers le signe de la fin du match entre le Losange et le Lion, avec une victoire imminente de ce dernier. L’ancienne Régie, dont le capital est encore détenu à 15 % par l’Etat français, serait donc condamnée à suivre le destin d’EDF ou d’Areva et ne ferait que retarder le moment inéluctable de la capitulation face à Stellantis dont les décisions sont moins politiques et plus efficaces.

C’était sans compter le volontarisme de Lucas de Meo, qui a annoncé il y a quelques jours un nouveau partenariat à même de renverser une nouvelle fois le rapport de force entre Renault et Stellantis. Après le Japon, le groupe Renault se tourne désormais vers la Chine et le Moyen-Orient pour rebondir à l’international.

 

2018-2023 : quand Stellantis éclipse Renault

Les cinq dernières années ont été un purgatoire industriel et boursier pour Renault. Tandis que Stellantis engrangeait les succès, Renault a continué sa glissade et le cours de l’action est toujours enlisé, en ce début d’année, à une fraction de ce qu’il était à la fin de l’ère Ghosn.

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Evolution croisée des cours de Renault (en bleu) et PSA/Stellantis (en violet) sur cinq ans. Infographie: investing.com

 

Ces dernières semaines, les résultats 2022 de Stellantis ont fait du groupe la nouvelle coqueluche de la presse économique. Il faut dire qu’avec un chiffre d’affaires en hausse de +18 % sur un an, et un bénéfice net approchant les 17 Mds€ (+26 %), la performance est remarquable dans un marché automobile européen qui continue de se contracter (-4,6 % par rapport à 2021).

Mais Renault n’a pas dit son dernier mot.

Le volontarisme affiché par Luca de Meo lors de son arrivée à la tête du groupe n’était pas que de façade. Fort d’un quart de siècle d’expérience dans l’automobile (il a travaillé pour Fiat, Volkswagen, Toyota), le nouveau DG a mené tambour battant sa « Renaulution » avec comme objectif affiché de restaurer la compétitivité de l’entreprise.

De fait, le groupe n’a pas à rougir de ses résultats 2022. Hors Russie, son chiffre d’affaires a progressé de +11,4 %. L’activité aurait même été bénéficiaire de près de 2 Mds€ si 2,3 Mds€ de dépréciation d’actifs n’avaient été enregistrés au titre du retrait du marché russe.

Et plutôt que de se focaliser sur l’alliance encombrante avec Nissan, ou de se recroqueviller sur le marché européen en profitant du succès de la marque Dacia, Lucas de Meo a mis en place de nouvelles collaborations internationales pour répondre aux besoins du marché automobile durant la prochaine décennie.

 

Des alliances inattendues

En novembre 2022, Renault a signé un accord avec le Chinois Geely pour créer une co-entreprise, dénommée Horse, dédiée à l’élaboration de moteurs à combustion interne de nouvelle génération.

Initialement prévue pour être détenue à parts égales par les deux constructeurs, la co-entreprise devrait finalement accueillir un nouveau membre : le Saoudien Aramco.

Dans un communiqué de presse publié le 2 mars, Renault a officialisé la signature d’une lettre d’intention avec le géant pétrolier, pour lui laisser une place au capital de Horse afin de « soutenir la croissance de la société et contribuer à la recherche et au développement, notamment en ce qui concerne les solutions de carburants synthétiques et les motorisations hydrogènes de future génération« .

 En pratique, l’apport d’Aramco devrait être plus capitalistique qu’industriel. Renault et Geely avaient déjà prévu de doter la nouvelle structure d’une vingtaine de sites industriels, de près de 20 000 emplois, et de lui donner accès à leur savoir-faire respectif. Déjà bien dotée en outils de production, la co-entreprise aurait donc surtout besoin de liquidités.

L’annonce du 2 mars viendrait donc confirmer les rumeurs relayées par Reuters en janvier, qui indiquaient que le pétrolier pourrait prendre jusqu’à 20 % des parts de Horse, pour un montant non déterminé. Il faut dire qu’avec une capitalisation boursière de près de 2 000 Mds$ (plus de douze fois celle de TotalEnergies), et un free cash flow de 403 Mds$ en 2021 (qui devrait encore croître en 2022), le géant saoudien a les moyens de financer généreusement cette nouvelle aventure industrielle.

 

Renault prépare l’automobile de 2030 avec pragmatisme

En acceptant de s’allier avec un constructeur chinois et un pétrolier saoudien pour produire des moteurs hybrides, Lucas de Meo brise tous les tabous du moment.

Sa stratégie parviendra à fâcher simultanément ceux qui souhaitent que l’industrie occidentale se découple de la Chine, ceux qui voient dans la production d’hydrocarbures le mal absolu, et ceux qui voudraient que les constructeurs automobiles prennent immédiatement le virage de la mobilité propre.

Derrière cette stratégie iconoclaste – voire provocante dans le contexte actuel – se cache en fait le plus grand pragmatisme.

Renault a pris acte que le marché automobile chinois n’est presque plus accessible aux constructeurs occidentaux. Les marques européennes ne sont plus vues comme des symboles de perfection, et la classe moyenne locale (qui compte des centaines de millions de personnes) préfère désormais les modèles vendus par des marques de l’Empire du milieu. Qu’à cela ne tienne : mieux vaut vendre des motorisations Renault sous marque Geely que ne rien vendre du tout.

Les producteurs d’hydrocarbures ont mauvaise presse ? C’est vrai… mais ils ont des capitaux. Alors que le coût de l’argent augmente chaque mois, financer de nouveaux développements industriels n’est plus un simple détail administratif. De plus en plus, les levées de fonds capitalistiques vont remplacer le recours à la dette – et il faut bien aller chercher l’argent là où il se trouve. Par ailleurs, les grands pétroliers sont à la pointe de la recherche dans les carburants dits propres (bio-carburants, hydrocarbures de synthèse à partir d’hydrogène, voire hydrogène-carburant). En plus de ses liquidités, Aramco pourra apporter à l’alliance Renault-Geely une longueur d’avance dans l’élaboration de moteurs thermiques compatibles avec ces carburants de nouvelle génération.

Enfin, s’il peut sembler étonnant de voir des industriels investir en 2023 dans les moteurs à combustion interne, il ne faut pas oublier que la part des motorisations 100 % électriques reste encore anecdotique dans le parc automobile. L’Europe n’a pas encore fini de s’équiper en véhicules thermiques – et le reste de la planète n’est pas aussi volontariste que Bruxelles en matière de mobilité propre. Renault compte bien profiter de ce marché tant qu’il existe.

Lucas de Meo se prépare à profiter sans vergogne du marché automobile des dix prochaines années tel qu’il sera, et non tel que les politiciens souhaitent qu’il devienne. Une stratégie qui décevra certains idéalistes et les investisseurs activistes… mais un avantage certain dans ce secteur ultra-concurrentiel qu’est l’automobile.

Etienne Henri

Etienne Henri est titulaire d'un diplôme d'Ingénieur des Mines. Il débute sa carrière dans la recherche et développement pour l'industrie pétrolière, puis l'électronique grand public. Aujourd'hui dirigeant d'entreprise dans le secteur high-tech, il analyse de l'intérieur les opportunités d'investissement offertes par les entreprises innovantes et les grandes tendances du marché des nouvelles technologies.

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