Si la transition énergétique est sur toutes les lèvres, tous les investissements verts ne se valent pas. En prenant l’exemple du secteur éolien, Etienne Henri vous indique comment choisir les valeurs susceptibles de faire monter votre compte de courtage tout en évitant de laisser piéger par l’optimisme ambiant.
La transition énergétique est un transfert de richesse sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Pour la première fois, la quasi-totalité des économies de la planète s’accordent à réaliser un plan d’investissement représentant plusieurs points de PIB, de manière coordonnée, dans un calendrier serré.
Pour les investisseurs, il s’agit d’une véritable ruée vers l’or… mais encore faut-il être du bon côté du chéquier et ne pas se retrouver par inadvertance du côté du payeur. En tant que contribuables, nous serons bien assez mis à contribution sans y ajouter des pertes en tant qu’actionnaires.
De fait, la première génération d’investisseurs engagés qui a financé les débuts de la transition énergétique dans les années 2000 l’a fait à fonds perdus. Trop en avance, mal positionnés dans la chaîne de valeur, ceux qui ont investi dans les premières capacités de production d’énergie verte ont bien souvent perdu leur mise.
Plus récemment, avec la multiplication des déploiements d’éoliennes, une nouvelle cohorte d’investisseurs a choisi de financer l’industrialisation de cette source d’énergie. Mais il ne suffit pas de posséder des actions de producteurs de sources d’énergie plutôt que de consommateurs, encore faut-il s’assurer que les entreprises concernées parviennent à faire des bénéfices.
Le secteur de la production d’éoliennes est impitoyable pour ses actionnaires. Après les déboires de Siemens Gamesa il y a quelques semaines, voici que General Electric abandonne à son tour ses grandes ambitions et prévoit un plan de réduction d’activité drastique.
Le précédent Siemens
La production d’électricité à partir d’éoliennes a atteint 385 térawattheures (TWh) dans l’Union européenne en 2021, pour une puissance brute installée dépassant les 180 GW – soit plus de cinq fois la puissance actuellement disponible du parc nucléaire français.
Cette technologie éprouvée de production d’électricité a été le socle de notre transition énergétique avant que les panneaux photovoltaïques n’atteignent les rendements qu’ils ont aujourd’hui, et les producteurs d’électricité disposant de parcs éoliens se frottent les mains depuis le début de la crise énergétique.
Du côté des constructeurs de turbines, en revanche, la situation est loin d’être idyllique.
Cet été, le fabricant d’éoliennes Siemens Gamesa a créé la stupeur en passant à deux doigts de la cessation d’activité alors même que la transition énergétique s’accélère comme jamais. [Eh oui, « mode boost activé » pour la transition énergétique. Cette petite entreprise devrait même faire passer le secteur à un tout autre niveau. Et elle pourrait bien devenir l’aventure boursière de votre vie. Cliquez ici pour en savoir plus.]
Si la faillite a été masquée par une opération capitalistique, il a fallu l’intervention de la maison-mère Siemens Energy et le licenciement de 2 900 employés pour sauver l’activité.
Plus question toutefois pour Siemens Gamesa de continuer à voler de ses propres ailes. Siemens Energy a retiré Siemens Gamesa de la cote avec une OPA à 4 Mds€ qui lui a permis de récupérer le tiers du capital encore flottant. Pour les actionnaires, qui se sont vu offrir 18 € par titre Siemens Gamesa, la perte atteint -31 % sur un an et -52 % par rapport aux plus-hauts de fin 2020.
L’Américain General Electric (GE) ne fait visiblement pas mieux, comme le prouvent ses chiffres désastreux.
La malédiction de l’éolien touche GE
Le groupe américain vient d’annoncer un plan de restructuration de son activité éolienne terrestre en Europe. Malgré des budgets d’investissement d’ampleur inédite sur le Vieux Continent, la direction juge les perspectives de la branche Onshore Wind négatives.
Ce sont ainsi 570 postes répartis dans plusieurs pays (essentiellement Allemagne et Espagne) qui pourraient être supprimés pour « rationaliser l’activité en fonction des réalités du marché ». General Electric prend acte de commandes volatiles et d’une hausse des coûts des matières premières portée par la poussée inflationniste de ces derniers mois.
En vérité, l’activité éolienne terrestre de GE était, à l’instar de celle de Siemens Gamesa, un gouffre financier. De l’aveu même du directeur technique de GE, Vic Abate : « L’activité européenne a enregistré des pertes importantes en 2021 et continue d’être non-rentable en 2022. » L’avenir n’est guère plus radieux avec des « perspectives commerciales difficiles et [une] approche actuelle en Europe pas durable ».
De fait, les chiffres du premier semestre de General Electric illustraient bien le paradoxe de la transition énergétique. Le groupe a beau être un fournisseur important de solutions à l’échelle mondiale, les ventes de sa branche énergies renouvelables avaient baissé de 23 % pour s’établir à 3,1 Mds€ – et encore ces chiffres comprennent-ils ses activités dans l’hydraulique et les services annexes, plus stables. GE a même annoncé ne plus tabler sur une augmentation des bénéfices de cette activité d’ici la fin de l’année.
Dans les chiffres trimestriels publiés il y a quelques jours, la branche énergies renouvelables est même responsable à elle seule d’un véritable effondrement du bénéfice par action à l’échelle du groupe. Il plafonne à 0,35 $/titre alors que, sans les dépréciations d’actifs liées aux activités zéro carbone, il se serait établi à plus du double à 0,75 $/titre.
Allez chercher la marge là où elle est
Les mésaventures en série des producteurs occidentaux d’éoliennes prouvent que l’investissement dans la transition énergétique ne peut être considéré comme un tout, et doit au contraire être effectué au cas par cas.
Investir dans des ETF sectoriels est le meilleur moyen de mélanger, dans son portefeuille, le bon grain et l’ivraie, producteurs et consommateurs, payeurs et bénéficiaires… et se retrouver in fine avec une performance corrélée à l’activité macro-économique générale qui traverse les soubresauts que l’on sait.
De fait, les actions GE et Siemens Energy ont des performances particulièrement décevantes cette année. Le modèle d’affaires des constructeurs occidentaux d’éoliennes n’est tout simplement pas adapté à la réalité du marché de la transition énergétique. Cela ne veut pas dire, pour autant, qu’il est impossible de gagner de l’argent en produisant des éoliennes. Certaines entreprises, notamment chinoises, dégagent des marges record avec cette activité, sont rentables, et versent même de généreux dividendes à leurs actionnaires.
En 2021, les investissements dans les nouvelles capacités éoliennes en Europe se sont élevés à 41,4 Mds€. La dépense a été financée par le contribuable… à l’actionnaire d’aller chercher la valeur ajoutée là où elle est partie.