Philippe Béchade revient sur la visite-éclair de Christine Lagarde. En effet, la patronne de la BCE vient de recevoir la légion d’honneur. Preuve d’un futur changement de voie ?
C’est une information que les médias, pourtant « initiés », ont pudiquement (ou stratégiquement) passée sous silence : Emmanuel Macron a organisé mercredi dernier (10 février) une cérémonie dans le jardin d’hiver de l’Elysée – à laquelle il avait convié une quarantaine de personnes – pour élever Christine Lagarde, la patronne de la BCE, au grade de Commandeur de l’Ordre national de la Légion d’Honneur.
Cette remise du prestigieux insigne survient une quinzaine de jours après que Nicolas Sarkozy ait révélé qu’il avait recommandé à Emmanuel Macron d’en faire sa première ministre en cas de réélection fin avril (c’était fin janvier).
Christine Lagarde avait rapidement démenti être intéressée par ce poste, s’estimant peu qualifiée et rappelé que son mandat courait jusqu’en 2027, ajoutant : « Je n’ai pas pour habitude d’abandonner en cours de route, donc… je vais essayer de me concentrer sur ce que j’ai à faire à la tête de la BCE. »
Qui a pu croire que Christine Lagarde quitterait un poste qui la place parmi le « top-5 » des personnes les plus influentes de la planète pour devenir 1er Ministre – donc aux ordres du locataire de l’Elysée, pour ne pas dire son « employée » (selon la définition de Nicolas Sarkozy qui la propose à ce poste) – d’un pays retombé au 7ème rang mondial en terme de PIB, désormais derrière l’Inde et le Royaume Uni (malgré le Brexit) ?
Victoire contre le Covid-19, défaite contre l’inflation ?
Mais ces deux informations sont très révélatrices de la façon dont les choses fonctionnent : une anecdote en forme d’impasse mais qui « fait le buzz » dans les médias, une visite de Christine Lagarde à l’Elysée – imaginez-vous qu’elle fut seulement protocolaire ? – passée complètement sous silence.
Il apparaît fort probable qu’en marge de la cérémonie d’élévation, le Président qui lui remettait l’insigne en personne, ne l’ait pas reçue en privé pour quelques échanges sur les questions économiques et monétaires dont rien n’a filtré.
Il pourrait avoir été question de l’attitude de la BCE en cas de conflit ouvert en Ukraine avec la Russie, impliquant des troupes occidentales… mais aussi et surtout, la coupure de l’approvisionnement de l’Europe en gaz russe.
Il semblerait que les Américains et les Européens aient renoncé à bannir la Russie « préventivement » du système d’échange et de règlements interbancaire « SWIFT », car cela aurait été perçu comme une déclaration de guerre : être sanctionné pour quelque chose qui n’a pas été commis, voilà une dangereuse évolution des relations diplomatiques Est-Ouest.
Et un fâcheux précédent puisque selon la même logique, la Chine pourrait être punie préventivement pour son projet d’invasion de Taïwan. Pékin se livre également à des jeux de guerre et a même filmé fin 2021 des manœuvres navales, aériennes et terrestres qui étaient clairement présentées comme une simulation de la reprise de l’île afin de réintégration parmi les provinces sous administration communiste du PCC.
Les marchés n’ont plus qu’à prier pour que les Etats-Unis, la Russie, l’Ukraine, la Chine se recentrent sur la « guerre » contre les méchants virus.
Il va falloir se dépêcher de détecter un nouveau variant « qui va tous nous tuer », car pour Omicron, la bataille est déjà gagnée partout, sauf semble-t-il en Israël, malgré ses 4 doses… en Islande où 98% de la population présente un schéma vaccinal complet… au Canada dont les contaminations sont en chute libre, mais les restrictions sont « au max » dans l’Ontario… et en France où malgré la décrue, des chars « occupent » les Champs Elysées et arborer un drapeau tricolore est devenu un délit passible de 135 € d’amende.
Bataille – presque gagnée – donc contre le Covid-19, mais perdue pour les banques centrales face à l’inflation. Une défaite qui a fait peu de victimes dans leurs rangs – puisqu’elles n’ont même pas livré bataille – mais qui fait des centaines de millions de « blessés » (bien plombés au niveau de leur pouvoir d’achat).
Ce sont les victimes collatérales d’une inflation qui présentait toutes les caractéristiques d’un phénomène structurel (pénurie de matières premières, d’énergie – carbonée ou non –, d’engrais, de matériaux de construction, de céréales, etc.) mais que la BCE et la FED se sont obstinées à qualifier de « transitoire », en se focalisant sur les « goulots d’étranglement », c’est-à-dire les pénuries effectivement plus temporaires de pièces détachées et de semi-conducteurs.
Les banquiers centraux ont décidé de tenter de restaurer leur crédibilité en annonçant la fin de la « corne d’abondance » en matière de liquidités et des resserrements monétaires. La Bank of England a été la première à ouvrir le bal, la FED devrait être la seconde d’ici un mois, et la BCE n’agira probablement pas avant huit bons mois, à moins de renier son calendrier implicite une deuxième fois cette année. Et quelle efficacité les marchés attendent-ils des prochains tours de vis monétaires ? (4 à 5 pour la FED, 2 pour la BCE, 5 pour la BoE d’ici fin 2022 ?)
Un dernier sondage réalisé aux Etats-Unis auprès des investisseurs donne un résultat édifiant concernant les anticipations d’inflation (hausse de taux de la FED comprise).
- égale ou supérieure à 2% = 5,9 ;
- inférieure ou égale à 4% = 30,9% ;
- comprise entre 4 et 6% = 31,9% ;
- supérieure à 6% = 31,3%.
Autrement dit, il y a près de 2 chances sur 3 de voir l’inflation rester supérieure à 4% (et personne ne voit les taux directeurs de la FED aller au-delà de 2% d’ici 2 ans, et même 1,5% semble « compliqué »).
Et il y a plus de 94% de chances de voir l’inflation demeurer supérieure à 2% d’ici 2023.
Du coup, le poste de 1er Ministre de la France, où il n’y a qu’à exécuter les ordres de l’Elysée (au fond, si ça se passe mal, c’est de la faute du Président), c’est peut-être plus confortable que patronne de la BCE.
Et Jerome Powell regrettera peut-être de ne pas avoir opté pour une retraite dorée dans un Hedge Fund (bonus de bienvenue de plusieurs millions de dollars, plus salaire mensuel à « 6 zéro », plus conférences à 500 000 $).