Philippe Béchade revient sur la flambée des cours du pétrole. Qu’il s’agisse du Brent ou du WTI, l’or noir atteint des niveaux jamais vus. A vrai dire, le mouvement haussier dans lequel la matière première est inscrite n’a jamais duré aussi longtemps. Explications.
Les pays producteurs de pétrole OPEC et la Russie ont décidé de n’ouvrir que symboliquement le robinet. On parle d’un ajout de 400 000 barils/jour, comme pour n’importe lequel des douze mois précédents. Et cela provoque une envolée de l’Or noir (Brent ou WTI) de plus de 15% en 5 séances… et pour ne rien arranger, les stocks pétrole US se sont contractés plus fortement que prévu fin février.
La suite était prévisible : l’essence est à plus de 2,15 €/litre sur les autoroutes, le litre de gasoil Premium et le sans plomb 95 à 2,02 €, ça, c’est fait !
Et ce n’est pas fini puisque ces prix, c’était avant que le baril de Brent ne franchisse les 106 $ et le WTI les 103 $, rajoutant +12% en 24 heures.
A 119 $, le baril de pétrole Brent est au plus haut depuis le 4 février 2013, quant au WTI, il se retrouve à plus de 116 $ pour la première fois depuis le 1er septembre 2008 effaçant ainsi la résistance majeure de fin août 2013, ou du 27 février 2012… ou encore celle des 114,8 $ du 2 mai 2011.
Le mouvement haussier du 20 avril 2020 à mars 2022 (entre 21 $ et 119 $ sur le Brent) n’est pas sans rappeler celui observé sur le Brent du 1er août 2007 au 30 juin 2008, entre 51 $ et 146 $. Avec une hausse de 98 et 95 $, le « timing » de ces deux mouvements diffère juste du simple au double : 11 mois pour 2008 contre 22 mois pour le mouvement actuel débuté en 2020. Cela n’est évidemment pas anodin.
Un éternel recommencement…
Mais un autre mouvement haussier de 89 $ entre 38 $ et 127 $ (du 22 décembre 2008 au 4 novembre 2011) a duré 35 mois, soit 50% de plus pour un écart assez similaire.
Et un point commun relie les 3 rallyes de 90 à 985 $ d’amplitude : l’accélération finale de 20% qui caractérise une hausse en mode « FOMO » (Fear Of Missing Out) ou « panic buying » (les vendeurs à découvert se font pulvériser et doivent se couvrir ou se racheter à tout prix).
Et +23%, c’est le gain observé au cours des quatre dernières séances.
Qu’il y ait ou pas une guerre ne change pas grand-chose à l’affaire puisqu’un mois après le début de l’offensive en Irak en mars 2003, le baril revenait à la case départ (23 $) après avoir culminé sous 34 $ (soit +48%)… en pleine guerre du Golfe, au pied des puits de pétrole.
Et une hausse de 48%, c’est ce que nous observons depuis le 1er janvier.
Nous ne confondons évidemment pas coïncidence et règle implicite et récurrente. Toutefois, les « algos » sont nourris aux références historiques, aux séquences (« patterns ») qui se répètent à travers les mois, les années, les décennies… dans des circonstances complètement différentes.
En 2008, l’envolée de 86 vers 146 $ (+70% en moins de six mois, sans raison géopolitique) est désormais surpassée, et largement depuis une semaine, par les +76% observés entre le 2 décembre 2021 et le 2 mars 2022. Soit en seulement 3 mois !
La seule hausse plus violente remonte à 31 ans et demi en arrière, avec la flambée de 16 $ vers 41 $ du 25 juin au 25 septembre 1990 (lors de l’invasion du Koweit par Saddam Hussein). C’était donc un contexte de guerre, au pied des puits de pétrole comme en mars 2003… mais cette « première » avait causé beaucoup plus de stress puisque comparable au choc pétrolier de 1973/1974.
Ce que cela nous dit, c’est que le prix du pétrole a déjà pu être multiplié par 2 fois et demi en trois mois, donc +78%, ce n’est pas le paroxysme d’une crise géopolitique majeure.
Mais en 2003, la « guerre du Golfe 2.0 » n’avait quasiment pas impacté les cours !
Donc ce que nous enseignent les précédents épisodes de flambée du pétrole, c’est qu’il n’y a pas de règle. Le Brent avait vu son cours multiplié par 4 en 18 mois sans guerre (2020/2021). Désormais, on le multiplie par 7 – un record de plus 45 ans – depuis le 20 avril 2021. En comparaison, entre début janvier 2007 et fin juin 2008, c’était par 3.
Au stade actuel, tous les ratios haussiers sur 24 mois ont explosé (sur 5 décennies), la seule référence qui nous restait, c’est cet écart maximum de 95 $ qui n’avait jamais été surpassé au XXIème siècle.
Nous voici en terra incognita. Pourquoi pas 125 $ le baril dans une séance ou une semaine ?
Le risque d’inflation bouleverse les projections des banques centrales en matière de dérive des prix et celles des économistes en matière de croissance : avec un baril s’installant entre 110 et 120 $, la hausse du PIB pourrait se trouver amputée de -0,5 à -1% selon que les niveaux actuels perdureront trois mois ou jusqu’à la fin de l’année.
Et pour compenser l’impact sur les ménages modestes (60% de la population gagne moins de 2 000 € en France) et les entreprises industrielles, les gouvernements et les banques centrales trouvent un excellent prétexte de faire couler à flot l’argent magique et faire tourner la planche à billet à une vitesse supersonique.
Voilà qui va rendre une majorité des citoyens et des entreprises encore plus dépendantes des Etats providences qu’ils ne l’étaient avant la guerre en Ukraine.
Et qui sait, si le pétrole et le gaz deviennent temporairement plus rares avec un arrêt des livraisons russes, nous pourrions assister à l’instauration d’un « pass énergétique » avec plafonnement des niveaux de consommation d’énergies carbonées (y compris pour le chauffage ou la climatisation)… ainsi qu’une incitation à passer au tout électrique en matière de mobilité.
L’Italie et l’Autriche devront être surveillée de près, ce sont les pays les plus dépendants de la Russie : ce seront nos « éclaireurs » dans un contexte de rareté.
Pour l’Italie, elle importe de la Russie pendant les beaux jours et stoque dans l’adriatique les matières premières locales et importées pour faire face en cas de pénurie.