Les mesures drastiques de confinement et de vaccination anti-Covid ont définitivement été mises au second plan. Un désastre pour les biotechs en pointe sur l’ARN messager, qui après une période faste au plus fort de l’épidémie, ont perdu plus d’un tiers de leur valeur en Bourse depuis 2021. Quels débouchés leur reste-t-il ?
La quasi-totalité de la planète a décidé de laisser circuler le virus sans mesures contraignantes. Du « quoi qu’il en coûte » français au « zéro Covid » chinois, les mesures gouvernementales d’ampleur sont du passé. Qu’il est loin le temps du premier confinement où les autorités dépensaient la main sur le cœur près de 6 M€ par vie sauvée, selon les estimations de l’économiste Patrick Artus !
En début d’année, la France s’est accommodée sans aucune restriction sanitaire d’un pic de mortalité de 250 morts par jour. Et le vaccin, censé être l’arme principale de gestion du virus une fois la phase endémique atteinte, a silencieusement disparu du discours public.
Cette indifférence n’est pas propre à la France et le nombre de doses injectées par jour à l’échelle de la planète est tombé à moins d’un million – le même niveau que fin 2020 – lorsque le monde s’arrachait les rares doses disponibles.
Nombre de doses vaccinales contre le Covid-19 distribuées par jour. Infographie : OWID
Pour les laboratoires qui se sont illustrés avec les vaccins à ARN messager (ARNm), c’est un âge d’or qui touche à sa fin.
Pour les investisseurs, il s’agit désormais de savoir si la technologie de l’ARNm pourra être déclinée à d’autres problématiques médicales. A défaut de quoi, elle restera cantonnée à la réponse urgente en cas de pandémie – une situation par nature rare qui ne représente qu’une fraction des dépenses de santé.
Un des premiers relais de croissance envisagés par Moderna (à qui l’on doit le Spikevax contre le Covid-19) était un vaccin à ARNm contre le virus de la grippe. Ses similarités avec le Covid en termes de santé publique et les vagues épidémiques annuelles en faisaient un candidat-vaccin idéal – mais les premiers résultats sont venus tempérer l’optimisme initial.
Avec un résultat annuel en baisse de -31 % en 2022, la biotech aurait pourtant eu grand besoin de bonnes nouvelles venues du terrain pour redonner espoir aux investisseurs.
Un vaccin ARNm contre la grippe : à quoi bon ?
Il y a quelques jours, Moderna a dévoilé les résultats préliminaires de l’étude clinique de son vaccin contre la grippe.
Il s’agissait de déterminer la réponse immunitaire déclenchée par une injection de vaccin à ARN messager dirigé contre deux souches de grippe A et de grippe B. Prenant acte de la défiance envers les résultats publiés lors d’essais cliniques accélérés durant la pandémie, Moderna a décidé de montrer patte blanche avec une cohorte ne comprenant pas moins de 6 000 individus.
Les résultats sont pour le moins mitigés : les dosages sanguins ont bien révélé un niveau d’anticorps plus important qu’avec les vecteurs traditionnels pour la grippe A, mais moins important pour la grippe B. Même si la grippe A représente une menace sanitaire plus importante (elle est responsable de plus de 90 % des hospitalisations), ces résultats prouvent que l’ARNm n’est pas intrinsèquement supérieur aux vecteurs classiques en termes de réponse immunitaire.
Plus gênant encore, les déclarations d’effets secondaires ont bondi : 70 % chez les patients vaccinés par ARNm contre moins de 50 % chez les vaccinés avec des vaccins classiques à virus inactivé. Sachant que la vaccination contre la grippe est conseillée pour les personnes fragiles, une augmentation de 46 % du nombre de personnes souffrant d’effets secondaires après injections n’a rien d’anodin.
Ajoutons à ces résultats décevants le fait que les vaccins à ARNm sont par nature plus coûteux à produire que les vaccins à virus inactivé et nécessitent une logistique plus complexe. De plus, le coût du service médical rendu peut s’avérer moins intéressant que les alternatives classiques.
Un retour aux avantages intrinsèques
Il faudra évidemment attendre la fin des études cliniques menées par Moderna pour déterminer, en conditions réelles, la qualité et la durée de la protection apportée par les vaccins antigrippaux à ARNm. Sur ce point, la base de comparaison reste facile à dépasser : en moyenne, la protection apportée par le vaccin traditionnel contre la grippe oscille entre 40 % et 60 % après l’injection, et diminue ensuite d’environ 10 % par mois.
Mais 2023 n’est pas 2020 et les autorités sanitaires se souviennent maintenant que, si la santé n’a pas de prix, elle a un coût. Même en cas de service médical rendu favorable, les Etats seront vigilants quant au budget à mobiliser pour compléter l’arsenal vaccinal par des spécialités à ARNm.
L’expérience de ces derniers mois montre d’ailleurs que le prix des doses de vaccin à ARN est ultra-dépendant des volumes. Depuis la fin 2022, les prix unitaires demandés par les laboratoires pour leurs vaccins anti-Covid s’envolent, reflétant l’importance des coûts fixes.
Si Bruxelles avait acheté, en 2021, des vaccins anti-Covid à moins de 20 € l’unité, le prix 2023 du vaccin Pfizer-BioNTech devrait s’établir entre 110 et 130 $ aux USA.
Sachant que le vaccin anti-grippal est vendu une dizaine d’euros par dose, le service médical rendu par son équivalent à ARNm devra être significativement différent pour justifier un tel écart de prix… d’autant que, face à la méfiance envers cette nouvelle technologie, il est probable que l’ARN ne pourra prétendre qu’à une petite partie du marché évalué à quelques centaines de millions de doses par an.
Utiliser l’ARNm à bon escient
Dans ce sombre tableau, Moderna et BioNTech n’ont peut-être pas dit leur dernier mot.
S’il semble de moins en moins probable que l’ARN messager remplacera tous les vaccins existants, ce nouveau vecteur vaccinal semble bien rendre des services médicaux inégalables dans certains cas de figure.
Contre la grippe, tout d’abord, l’ARNm peut mettre en avant sa souplesse. La méthode classique (et peu chère) d’élaboration de vaccins nécessite de sélectionner très en amont les souches virales – au risque, comme cela arrive régulièrement, de vacciner les populations contre une souche qui ne se diffusera finalement pas lors de la vague hivernale. Les personnes vulnérables se retrouvent ainsi non seulement vaccinées inutilement contre un virus absent, mais aussi désarmées contre la « vraie » grippe.
Aujourd’hui, les laboratoires font valoir que l’ARNm permet de sélectionner au dernier moment la souche virale contre laquelle le virus sera dirigé. C’est vrai… mais cela implique que la chaîne logistique internationale suive. Les pouvoirs publics ne déclencheront pas tous les hivers un branle-bas de combat contre la grippe et il reste à prouver que production, stockage et distribution de vaccins à ARNm sont possibles en conditions normales à coût acceptable.
Si cela s’avérait impossible sur le marché de la grippe, il reste aux startups d’autres maladies contre lesquelles les vaccins à ARN semblent afficher une efficacité intrinsèquement supérieure.
Moderna espère, par exemple, commercialiser dès l’année prochaine son vaccin contre la bronchiolite, une maladie qui touche près de 65 millions de personnes par an et serait responsable de plus de 150 000 morts.
De son côté, BioNTech a dans son pipeline plusieurs candidats-vaccins contre les cancers, notamment le mélanome, le cancer des ovaires, et certains cancers du poumon. La startup a signé au mois de janvier un accord avec le gouvernement britannique pour accélérer ses essais cliniques en oncologie. Les premiers patients devraient être recrutés au second semestre. Les investisseurs devront scruter les résultats avec attention : si Moderna et Merck ont publié des résultats prometteurs en décembre dernier, BioNTech avait de son côté mené une étude clinique aux résultats décevants durant l’été 2020.
En matière de traitements médicaux, la prédiction relève de la divination et seules des études cliniques rigoureusement menées peuvent établir (ou non) l’intérêt des nouveaux traitements.
Pour les actionnaires, l’ARNm reste un Far West dont le retour sur investissement n’a rien de garanti. Le potentiel est toutefois à la hauteur du risque pris – d’autant que la valorisation de Moderna et BioNTech, qui ont perdu toutes deux 67 % depuis leur pic respectif de 2021, s’est nettement assagie.
La moindre bonne nouvelle lors des prochains essais cliniques pourrait renvoyer les titres sur leurs sommets historiques.