Les marchés bruissent de rumeurs tenaces autour d’une recomposition du paysage audiovisuel français, ce qui soutient notamment le cours de Bourse de M6. Jusqu’où pourrait-il aller ? Eléments de réponse dans cette analyse graphique avec Philippe Béchade.
L’annonce du « spin off » de Vivendi, qui introduira Universal Music Group (UMG) à Amsterdam (tout en conservant 20% du capital, au même titre que le groupe chinois Tencent), a sans surprise relancé les spéculations autour d’une refonte du paysage audiovisuel français et européen, avec Vincent Bolloré à la manoeuvre.
L’homme d’affaire breton est en effet en pourparlers avec Arnaud Lagardère pour le rachat d’Europe 1, attendu qu’il détient désormais 27% du capital du groupe de médias.
Cette radio est en perte de vitesse depuis des années, avec une audience devenue résiduelle de 2,1 millions d’auditeurs, très loin des 7 de France Inter, et Lagardère cherche un repreneur. En parallèle, M. Bolloré négocierait l’acquisition de la division presse de « Lagardère », qui comprend notamment les publications Paris Match et le JDD, de façon à peser sur les contenus éditoriaux à quinze mois du scrutin présidentiel.
De son côté, le géant de l’édition Bertelsmann a pris le virage des contenus audiovisuels par abonnement afin de se poser en rival de Netflix et Disney. Cette nouvelle stratégie a vocation à lui permettre de s’imposer comme numéro un dans les pays où il prend position, mais ce ne sera à l’évidence pas le cas en France avec M6 (la quatrième chaîne française en termes d’audience) et avec RTL, qui demeure numéro deux derrière la susnommée France Inter, laquelle bénéficie de la manne de l’argent du contribuable, ce qui est essentiel dans un contexte comme celui de la crise du Covid-19 où les recettes publicitaires se contractent.
Le jeu des chaises musicales n’est peut-être pas pour demain
Il est cependant vraisemblable que M. Bolloré se préoccupe moins de la rentabilité de RTL et de celle de M6 que de l’influence que ces médias pourraient lui procurer pour peser dans la course à l’Elysée, puis lors des élections législatives du printemps 2022. Une influence qui pourrait être singulièrement renforcée avec le rachat d’Europe 1 et de quelques gros titres de presse de la « galaxie » Lagardère encore très populaires… et qui se cachent à peine de soutenir le pouvoir en place depuis le début de l’année 2017 (après avoir soutenu ouvertement Nicolas Sarkozy dix ans plus tôt et s’être montré relativement bienveillants envers son successeur).
Il faut savoir que M. Bolloré connaît bien Bertelsmann, qui vient de céder les activités du groupe Prisma (presse) en France à Vivendi, mais le projet d’un rachat de RTL ou de M6 reste de l’ordre des supputations. Qu’à cela ne tienne : les marchés en sont friands et les spéculateurs sont près à miser (gros, et même très gros, car les liquidités abondent) sur un tel scénario.
Reste que Bertelsmann détient actuellement 94% de RTL et ne souhaite se désengager que partiellement, en gardant une majorité de contrôle. En outre, concernant M6 (Metropole TV capitalise globalement 2 Mds€ et Bertelsmann en exigerait 3 Mds€ pour les 48% qu’il détient), la législation européenne impose des règles de protection de la pluralité et de la concurrence qui interdit de fait à Vivendi/Canal+ de racheter une chaîne concurrente, sauf à céder des actifs d’un intérêt vital.
La résistance des 17 € a été pulvérisée
Que se passerait-il en cas de rachat de M6 par Bolloré ? C’est la question que semblent évacuer les spéculateurs qui se sont véritablement arrachés M6, dont l’action a bondi de 15% vers 18,35 € et par là-même pulvérisé la résistance des 17 € de janvier 2020 pour tester dans la foulée celle des 18,2 € de début mai 2019.
Car il semble difficile de justifier cette hausse par les résultats publiés lundi post-clôture, marqués par un recul de 11,5% des recettes publicitaires et une diminution de 12,5% du chiffre d’affaires en 2020, quand bien même la marge opérationnelle a pour sa part grimpé à 21,3% (+1,7 point par rapport à 2019) pour atteindre son zénith depuis 20 ans.
Si M. Bolloré n’est pas le futur acheteur, Bertelsmann aurait également approché Altice (alors que Patrick Drahi tenterait lui-même de céder RMC-BFM pour se recentrer sur la téléphonie mobile), le groupe TF1 (néanmoins confronté aux mêmes contraintes que Vivendi en matière de législation sur la concurrence dans l’éventualité d’une acquisition) et le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky.
En fin de compte, il semblerait donc que les acheteurs de M6 fassent le pari qu’une cession par RTL au profit d’un groupe audiovisuel concurrent ne serait pas bloquée par Bruxelles au vu des circonstances (crise sanitaire, difficulté de préserver des emplois, etc.). Auquel cas, le cours de M6 – qui a déjà plus que doublé depuis le plancher des 8,8 € des 20 mai et 27 octobre dernier – pourrait continuer de grimper en direction des 19,8 € (ex-gap du 14 mai 2018 et ancien zénith du 14 mai 2015).