A première vue, l’introduction en Bourse de LightOn semble alléchante : cette start-up française spécialisée dans l’intelligence artificielle prévoit de proposer ses actions à un prix attractif. Cependant, les observateurs pointent du doigt un repositionnement dans l’IA opportuniste, et un modèle économique encore flou…
Donner à la France une occasion de jouer dans la cour des grands dans le secteur naissant des IA génératives : c’est la promesse que fait la start-up tricolore LightOn en préparant son arrivée sur Euronext Growth.
La jeune pousse, créée en 2016 et forte d’un effectif de plus de quarante personnes, vient d’obtenir le précieux sésame de l’Autorité des marchés financiers (AMF), levant le dernier obstacle réglementaire avant une cotation.
Alors que son dernier tour de table remonte à 2018, et lui avait permis de lever 2,8 M€, l’IPO devrait apporter 10 M€ d’argent frais dans les caisses. Pour l’entreprise, ces fonds serviront à « devenir la première entreprise pure player de l’IA générative cotée », selon les mots de son cofondateur Laurent Daudet. Et avec un manque criant de dossiers exposés au secteur de l’IA sur le Vieux Continent, l’IPO de LightOn répond sans aucun doute à une demande du marché. Gérants d’actifs et particuliers pourront – enfin – investir dans une start-up dédiée à l’IA qui ne soit pas basée en Californie mais dans l’Hexagone.
L’opération, quoique de taille modeste par rapport aux IPO géantes organisées par la French Tech ces dernières années, sera aussi bienvenue pour relancer la machine des introductions en Bourse qui tourne au ralenti depuis plusieurs mois.
Un secteur ultra-médiatique, des attentes financières très raisonnables, un environnement boursier demandeur de nouveaux dossiers : tout est en place pour que l’IPO soit un succès. Seule ombre au tableau, et non des moindres : la légitimité de l’entreprise dans le domaine n’a rien d’évident, et la pertinence de son modèle d’affaires n’a pas encore été démontrée.
LightOn : des composants à l’IA générative
Si LightOn se présente comme un pure player de l’IA générative, la société ne fait pas partie des pionniers du secteur comme nombre de startups qui travaillaient sur le sujet des années avant l’ouverture au grand public de ChatGPT.
LightOn est en réalité née pour valoriser des travaux de recherche fondamentale autour des processeurs photoniques, ces potentiels successeurs à l’électronique que nous utilisons aujourd’hui dans nos ordinateurs, smartphones, et tous les appareils intelligents du quotidien.
Selon les physiciens, les processeurs photoniques pourraient ouvrir une nouvelle ère en termes de puissance de calcul et être la meilleure plateforme technique pour permettre l’émergence de l’informatique quantique.
Mais malgré sa popularité dans les années 2010, la photonique n’a jamais trouvé son marché. Quelques années après sa création, LightOn a donc totalement changé son secteur d’activité pour se concentrer sur l’intelligence artificielle.
Elle a décidé en 2020 de développer son propre grand modèle de langage, les fameux LLM sur lesquels s’appuient OpenAI, Microsoft, Facebook et Baidu pour proposer leurs IA de dernière génération. LightOn s’est alors heurtée au financement stratosphérique que nécessite la création et l’entretien d’un LLM. Là où les grands noms de la tech peuvent dépenser des centaines de millions d’euros pour acheter les processeurs et régler les factures énergétiques colossales de leurs centres de données, la startup française capitalisée à hauteur de quelques millions d’euros a dû revoir ses ambitions à la baisse.
Qu’à cela ne tienne, LightOn a une nouvelle fois pivoté pour se recentrer sur des modèles d’IA plus petits, capables d’intervenir sur des cas d’usages bien plus réduits.
En termes techniques, cette décision est frappée au coin du bon sens. Si les IA « universelles » sont impressionnantes, un groupe bancaire qui met en place une IA pour répondre aux questions de sa clientèle ou remplir des formulaires-type n’a pas besoin que l’IA puisse donner une recette de tarte aux pommes, ou réciter par cœur des poèmes de Baudelaire. Or, réduire le domaine d’expertise d’une IA générative permet de diminuer drastiquement ses coûts de mise en place et d’amélioration. Pour quelques pertes de fonctions inutiles pour le client, le budget global peut être divisé exponentiellement : de quoi permettre à une startup peu capitalisée de se battre à armes égales avec les géants du net.Le nouveau positionnement de LightOn semble donc bien plus adapté à la structuration du marché de l’IA. Reste une interrogation cruciale : l’entreprise s’appuie-t-elle sur un modèle d’affaires crédible ? A ce stade, rien n’est moins sûr.
Qui payera pour l’IA de LightOn ?
Les acteurs de l’IA (et les investisseurs) ont retardé le plus longtemps possible la confrontation avec la réalité inévitable pour tout nouveau marché : déterminer le consentement à payer de la clientèle.
Microsoft a par exemple rapidement pris le parti de facturer l’utilisation de son Copilot. Mais même si le cabinet Wedbush estime que 70 % des clients de ses logiciels utiliseront ces nouvelles fonctions payantes d’ici trois ans, les flux de revenus restent anecdotiques par rapport aux 245 Mds$ de chiffre d’affaires annuel. De son côté, le géant SAP ajoute de plus en plus de fonctions basées sur l’IA à sa suite logicielle, sans faire payer ses clients pour la plupart d’entre elles.
Au niveau des infrastructures, nous avons déjà assisté en début d’année au krach des prix des services d’IA. Les tarifs pratiqués par requête se sont effondrés depuis l’an passé, certains LLM comme ceux de Meta (la maison mère de Facebook) étant même disponibles en Open Source.
Les premières entreprises à se positionner sur la commercialisation de requêtes ont dû revoir leurs tarifs, baissant les prix jusqu’à -97 %. Il est désormais acté que la seule vente des accès aux LLM n’est pas une opération financièrement soutenable au vu des coûts engagés.
Pour les entreprises qui se positionnent en aval dans la chaîne de valeur, comme LightOn, tout est encore possible. En fournissant à ses clients une IA modulable pouvant être reprogrammée pour les besoins internes (synthèse de documents, moteurs de recherche, agents conversationnels), elle individualise les situations et permet d’éviter de tomber dans le piège de la standardisation qui oblige à s’aligner sur les prix de marché.
Les clients seront-ils au rendez-vous ? Seul l’avenir le dira, et la startup ne peut vendre que des prévisions à ce stade. Sur l’exercice 2023, LightOn a réalisé un chiffre d’affaires de 8 M€. La direction vise une multiplication par 5, pour atteindre les 40 M€ en 2027. Elle n’est pas encore rentable, et ne devrait pas l’être avant 2026, ce qui prouve que le point mort ne sera pas atteint avant un changement d’échelle de ses facturations.
Participer à l’IPO d’une entreprise qui a si souvent changé sa stratégie, se lance dans un marché sur lequel personne ne fait encore d’argent, et possède des moyens financiers très limités par rapport à ses concurrents nécessite une sérieuse dose d’optimisme.
Merci Etienne! J’ai beaucoup apprécié l’analyse sur LightOn et je l’ai trouvé bien construite et pragmatique