[Tentaculaire, Amazon poursuit son expansion tous azimuts. Amazon Web Services, Amazon Prime Video, Amazon Music Unlimited, Amazon Pay, Amazon Logistics… La liste est loin d’être exhaustive tant la multinationale de Jeff Bezos innerve l’économie. Tout naturellement, on la retrouve donc sans surprise sur le très dynamique segment du gaming – notamment depuis son rachat de Twitch en 2014. Pourtant, ici, le succès est loin d’être au rendez-vous. Du moins pour certains observateurs…]
Fidèle à sa stratégie de diversification, et non contente d’être devenue la première marketplace mondiale, Amazon a poursuivi son expansion en visant le marché des produits culturels. En plus de la vente de livres, la firme s’est attaquée au secteur du gaming, avec à la clé un succès en demi-teinte…
Depuis, certains observateurs ont âprement remis en cause les choix stratégiques de la société de Jeff Bezos, pointant d’un doigt véhément le rachat de la plateforme de streaming Twitch.
Pour autant, si les recettes publicitaires ne sont pas encore au rendez-vous, Amazon n’a pas perdu la partie, loin de là. Quand le sage désigne la Lune, l’idiot regarde le doigt…
Twitch : une acquisition qui fait douter
Je m’explique. On le sait, Amazon a racheté Twitch en 2014 pour 970 M$. Pour rappel, à l’époque, Google était également sur les rangs. L’entreprise qui avait posé pas moins de 1 Md$ sur la table s’est très vite ravisée, invoquant le sacro-saint antitrust. Imparable.
Depuis cette acquisition, Twitch a connu une croissance rapide, jusqu’à devenir le leader incontesté du live streaming de jeux vidéo – très loin devant ses concurrents YouTube Live et Facebook Gaming.
Pourtant, ce rachat n’a pas été totalement à la hauteur des espérances… En 2018-2019 Amazon a fait moins de chiffre d’affaires sur Twitch que prévu. C’est encore le cas aujourd’hui… Surtout en matière de revenus publicitaires !
Selon deux sources proches du dossier, en 2018, les recettes publicitaires de Twitch se sont élevées à 230 M$, et à 300 M$ en 2019. Des sommes bien dérisoires comparées au chiffre d’affaires net total d’Amazon. Le constat est sans appel : à ce jour les objectifs fixés pour la publicité sur Twitch n’ont toujours pas été atteints.
Voilà pourquoi les analystes qui suivent le dossier émettent réserves sur réserves. Beaucoup ont tendance à considérer Twitch comme une erreur stratégique. Une très mauvaise opération. D’après eux, au vu de la faiblesse des revenus générés, impossible de voir comment Twitch pourrait devenir rentable pour Amazon. Cela sans même prendre en compte les coûts – très élevés – liés à la diffusion de contenus vidéo de masse…
Bref, pour eux, Amazon, c’est dix ans d’échecs dans la création de jeux, une monétisation plus que poussive sur Twitch et une stratégie faite de mauvais calculs. Conclusion : Amazon devrait tout simplement renoncer au secteur du gaming. Le raisonnement tient la route, certes…
Mais, ce n’est pas ce que nous a révélé l’énorme piratage de la plateforme à l’automne dernier… Et, à en croire ces éléments, pour le moins inattendus, Amazon pourrait passer du stade de looser à celui de winner dans les prochaines années…
Ce que révèle le dernier hack de Twitch
Le 6 octobre 2021, un hacker a fait fuiter une bonne partie de la data de Twitch. La fuite comprenait le code source, des détails sur les revenus perçus par les streamers, mais pas seulement. Le hack a également révélé plusieurs éléments très intéressants.
Première révélation : le projet d’ajouter « Vapour », une plateforme d’achat de jeux vidéo, à Twitch. L’objectif est clair : concurrencer Steam, l’un des leaders du secteur, mais surtout capitaliser sur la forte audience de Twitch en proposant aux viewers séduits par les jeux qu’ils voient, de les acheter directement via une plateforme maison. Plus besoin de quitter l’application, de passer par Steam ou par un concurrent. Ils pourront acheter puis télécharger les jeux en un clic, et ça sans sortir de l’univers Amazon !
On comprend bien qu’un tel projet viendrait régler les problèmes de rentabilité. Avec « Vapour », la monétisation limitée jusqu’alors, pourrait décupler. Amazon pourrait mettre en place un système de royalties… L’entreprise pourrait, par exemple, négocier un intéressement sur une partie des revenus générés par les ventes, et en reverser un pourcentage aux streamers.
Deuxième révélation : Amazon voit beaucoup plus loin que Vapour, avec un projet plus large nommé « VapeWorld ». VapeWorld pourrait être l’équivalent de VRChat : un jeu en 3D similaire à Second Life conçu pour être utilisé avec des casques de réalité virtuelle. Pourquoi est-ce intéressant ? Parce que c’est la preuve qu’Amazon compte aussi se positionner sur le secteur du métavers… (On ne s’en serait presque pas douté dites donc !)
Avec Twitch et les projets Vapour et Vapeworld, Amazon montre sa capacité à transformer un actif qui semblait de mauvaise qualité en l’un de ses meilleurs achats. (A prendre au conditionnel toutefois, car nous ne savons pas si ces projets vont se concrétiser.)
La création d’un écosystème à fort potentiel
Ce qu’il faut retenir, c’est que, certes, en rachetant Twitch, Amazon a pensé monétisation. Mais, pas que… Clairement, avec Twitch, Amazon cherche à créer un véritable écosystème dans le gaming. Et l’entreprise place ses pions en ce sens.
Les lives Twitch et leur très forte audience offrent une très belle exposition aux jeux qui sortent des studios Amazon et contribuent à stimuler les achats impulsifs. On l’a vu en septembre 2021 avec le succès du lancement du jeu New World (édité par Amazon Game Studios), la machine est rodée. Beaucoup de partenariats ont été proposés aux streamers les plus populaires de chaque pays, ce qui a permis de dépasser le million de joueurs en simultané dès la sortie. Ajoutez à cela Vapour qui serait la plateforme d’achat maison et la boucle est bouclée…
Twitch permet de proposer des espaces publicitaires aux studios de taille modeste comme Focus Home Interactive, qui développent des jeux AA (productions au budget limité). La plateforme pourrait devenir leur partenaire privilégié. Ces studios, qui n’ont pas forcément les moyens de financer des campagnes de promotion très coûteuses, pourraient trouver un écho publicitaire inespéré, et à moindres frais, sur Twitch.
N’oublions pas Amazon Web Services (AWS). Les jeux vidéo étant très gourmands en bande passante, la multiplication des achats et téléchargements de jeux inciterait Amazon à développer la capacité de ses serveurs. Cela pourrait créer de nouveaux débouchés pour AWS, à même de proposer contre rémunération, les fonctionnalités de son cloud puissant à d’autres entreprises.
On peut aussi tout à fait envisager qu’Amazon mette en place, dans un futur proche, le même type de stratégie qu’Epic Games avec son Epic Games Store. Attirer les joueurs en offrant régulièrement des jeux gratuits. Offrir aux développeurs des services à forte valeur ajoutée comme l’hébergement de jeux en ligne pour les inciter à venir développer directement sur sa plateforme.
Les potentialités, les synergies sont larges. A l’image d’un vrai écosystème en devenir.
Avec Twitch, Amazon vise une stratégie de commerce social
Mieux, une nouvelle évolution se dessine depuis quelques temps dans le monde du e-commerce. Les success stories du début du siècle comme Amazon et Alibaba sont-elles appelées à rester de simples plateformes d’achat ?
Rien n’est moins sûr. De nouvelles plateformes sont arrivées. Des plateformes de revente de particulier à particulier comme Vinted. Des plateformes de social commerce. C’est le cas du Chinois Pinduoduo qui vous permet d’acheter un produit en commande groupée et donc de bénéficier de tarifs préférentiels. Shein, plateforme d’ultra fast fashion, s’est lancée avec une stratégie très axée vers les réseaux sociaux comme Instagram et TikTok. Les influenceurs y ont la part belle pour doper les ventes. Dans le secteur de l’automobile, des plateformes comme le Français Oscaro proposent la vente de pièces détachées accompagnées de leurs tutoriels, ce qui permet aux automobilistes d’effectuer eux-mêmes leurs réparations.
De ce point de vue, Twitch a de sérieux atouts puisque la plateforme favorise déjà l’interaction sociale entre les joueurs et leur public. Elle a tout le potentiel pour devenir le social commerce du jeu vidéo. Notamment un panel de streamers (donc d’influenceurs) qui va inciter son audience à l’achat, en proposant pourquoi pas des réductions de prix en cas d’achats groupés (comme sur Pinduoduo) et donc doper les volumes de commande.
Avec l’achat de Twitch, Amazon a déjà acquis la création de trafic et ce trafic augmente chaque année. Le seul élément qui manque à Amazon pour gagner dans le gaming c’est la capacité à monétiser ce trafic.
Vous avez environ 500 millions de personnes sur Twitch. Pour l’instant Twitch rapporte un peu moins de 350 M$ de chiffre d’affaires à Amazon, donc moins d’un dollar par utilisateur. Quand on sait que la monétisation par utilisateur Facebook se situe entre 15 $ et 20 $ on comprend l’explosion de revenus potentielle que Twitch peut générer. Donc ne vous fiez pas aux apparences, Twitch est peut-être la meilleure acquisition d’Amazon…