La réserve fédérale américaine semble totalement déconnectée des réalités. En continuant de marteler son message d’inflation transitoire, elle manipule les marchés. Philippe Béchade revient sur ce qui a changé depuis 18 mois avec le Covid-19.
Alors que le champ de nos libertés se retrouve réduit comme une peau de chagrin au prétexte d’un peu plus de sécurité depuis 18 mois, une autre transition « vers un autre monde » s’opère à un rythme vertigineux.
Il s’agit du rythme de transfert de la richesse de 80% de la population vers les 1% et des 50% les plus pauvres vers l’hyper-classe. En effet, les actifs financiers détenus par les 1% (3,2 millions d’individus) s’élèvent à 41,6 trilliards de dollars – soit 41,6 mille milliards de dollars – contre 2,6 mille milliards de dollars pour les 50% les plus pauvres (160 millions d’individus).
La richesse des 1% a augmenté d’un tiers en 18 mois (par rapport à janvier 2020) et de plus de 60% depuis les « plus bas » du mois de mars 2020. C’est l’enrichissement le plus rapide d’une minorité aussi réduite de citoyens américains depuis 120 ans ! Elle n’a été rendue possible que par l’accès privilégié au crédit gratuit en quantité illimitée que la FED met à la disposition des 1% pour acheter des actions, des dettes « high yield », de l’immobilier.
Trop d’argent magique, la FED gonfle son bilan
Elle n’entend pas mettre fin à cette distorsion historique du partage des richesses. Bien au contraire ! Elle élabore ainsi tout un corpus théorique pour s’éviter d’avoir à le faire pour des motifs aussi sérieux que la montée de l’inflation, le surgissement de bulles financières, le creusement des déficits budgétaires, etc.
La FED vient de gonfler son bilan de 162 Mds$ rien que sur les trois premières semaines du mois de juillet… alors que son « QE » est calibré à « seulement » 120 Mds$/mois depuis le printemps 2020.
Par ailleurs, les excès de liquidités sont tels que la FED en « ravale » pour l’équivalent de 750 à 850 Mds$ – via ses « prises en pension » – tous les soirs depuis plus d’un mois… Toutefois, un record a été battu ce 23 juillet avec 877,3 Mds$ (chiffre officiel fourni par la FED).
Cela signifie qu’il existe des réserves de liquidités phénoménales pour financer des prises de position à crédit sur les marchés, ce dont ne se privent pas les hedge funds et les family office (organismes de gestion des plus grandes fortunes). De l’argent en quantité illimité, prêt à s’investir dans des SPACs, ou pour absorber n’importe quelle IPO (introduction en bourse) affichant des multiples délirants.
Spéculations et reprises sur l’immobilier de luxe
Plus classiquement, les ultra-riches se diversifient dans l’immobilier, ce qui se traduit par une hausse de 18,3% du prix médian des logements neufs sur 12 mois et de 23,4% des logements anciens (qui symbolise la plus forte hausse annuelle depuis 45 ans).
Mais tout cela est presque anecdotique en comparaison de la flambée des prix sur des biens de 2 M$ et plus dans les Hamptons (une région en forme de presqu’île située dans le Nord-Est de Long Island, dans l’État de New York). Mi-juillet, un manoir a pris 25% au cours de la même journée. Il avait été acheté par un millionnaire un peu moins de 12 M$ le matin, lequel a pu le revendre avec 3,5 M$ de plus-values à un milliardaire avant la tombée du jour.
Les agents immobiliers de la presqu’ile résument bien cette particularité locale : « On est toujours le dernier marché à subir la crise et le premier à bénéficier de la reprise ». Dans le contexte d’enrichissement des milliardaires depuis juin 2020, peu importe une différence d’un million… ou de 3 M$, ce sont des pièces jaunes quand l’acheteur a un coup de cœur.
C’est exactement comme dans une vente aux enchères de prestige, les acheteurs d’une œuvre rare ne sont pas à 10 M$ près : cela ne porte préjudice à personne, ni à l’acheteur, ni au vendeur, ni à l’artiste (s’il est encore de ce monde) et encore moins au commissaire-priseur.
Le problème se pose quand ce genre de comportement de surenchère permanente s’applique à des biens et services indispensables à tous, comme se loger (acheter ou louer devient prohibitif), se nourrir (flambée des céréales suite à des spéculations sur les commodities), se déplacer (les carburants sont au plus haut depuis 2014) et même épargner. A quel prix le commun des mortels achète-t-il les actifs – qu’il ne peut ni vendre, ni couvrir avec des produits dérivés – qui constituent son épargne de précaution et ses futures ressources vitales (pension de base et retraite complémentaire) ?
Le point de non-retour ?
La FED qui mène le bal de l’argent magique, imitée par la BCE, confirme être engagée dans une fuite en avant, assumant pleinement que la crise sanitaire a constitué un point de non-retour.
Sauf que ce point de non-retour avait été atteint dès le 19 septembre 2019 avec la mise en place d’un « non-QE ». Tout le monde a oublié que le cœur du réacteur nucléaire financier était déjà hors de contrôle depuis six mois lorsque le tsunami sanitaire provoqua sa désintégration. La FED noie le réacteur sous les liquidités, mais son cœur continue de fondre et le magma radioactif de s’enfoncer en direction des nappes phréatiques.
Pour distraire les foules, elle peut se targuer d’avoir propulsé au plus haut de l’histoire :
- les actions : triple record absolu à Wall Street le 23 juillet dernier ;
- les dettes d’entreprises : record de valorisation des junk bonds;
- les bons du Trésor : le « 10 ans » grec au plus haut absolu ;
- la plupart des matières premières ;
- les crypto-actifs sans valeur intrinsèque ;
- le prix de maisons, neuves ou de seconde main ;
- la richesse des 1%, qui dope statistiquement celle des 99% ;
- l’inflation qui est au plus haut depuis 40 ans.
De telle sorte que le vrai pouvoir d’achat des ménages du bas de l’échelle et jusqu’à la upper middle-class (80% de la population américaine) est au plus bas depuis 70 ans. Cette inflation non-transitoire passait pour relativement invisible, elle a cessé de l’être aujourd’hui et c’est pourquoi les banques centrales cherchent à nous convaincre qu’elle redeviendra sage demain.
Mais qui peut encore s’en laisser convaincre ? Elle n’a plus d’autre choix que de manipuler les marchés pour simuler leur adhésion à son narratif.
C’est l’ultime stade précédant la désintégration d’un système devenu complètement dysfonctionnel.