Record du monde battu ! Alors qu’on croyait que la course à la puissance de calcul avait atteint ses limites, au contraire, elle s’accélère. IBM a lancé cet automne un nouveau processeur quantique aux performances jusque-là inégalées, battant au passage à plates coutures le dernier record établi par Google.
La course à l’ordinateur quantique promet d’être au XXIe siècle ce que la microélectronique fut au siècle passé.
Les puces quantiques – les scientifiques en ont la certitude – auront la possibilité d’effectuer en quelques minutes, des calculs qui auraient demandé des siècles, voire des millénaires, aux processeurs classiques.
Intel, Google, IBM : les leaders du monde de l’informatique font la course à la suprématie quantique. Chaque jalon, atteint au prix de dizaines millions de dollars d’investissements, est ainsi l’occasion de creuser l’écart avec les concurrents.
Il y a quelques semaines, IBM a dévoilé un processeur quantique d’une puissance inégalée.
Les centaines de qubits d’IBM
Le nombre de qubits est aux ordinateurs quantiques ce que les MHz puis les GHz furent aux microprocesseurs traditionnels. Ils représentent une manière simple de comparer la puissance de traitement des puces.
Comme lors des débuts de la micro-informatique, les progrès en termes de nombre de qubits par puce sont rapides, et chaque nouvelle génération rend obsolète la précédente. Ceux qui ont acheté un ordinateur personnel avant les années 2010 se souviennent sans doute que ces appareils étaient dépassés quelques semaines seulement après leur achat. Cette obsolescence accélérée était certes douloureuse pour le porte-monnaie, mais aussi exaltante tant le potentiel des nouvelles machines était systématiquement amélioré.
Entre un ordinateur de 1998 et un ordinateur de l’an 2000, les capacités étaient incomparables. La différence était encore plus flagrante entre les machines de 1984 et de 1986.
Nous vivons actuellement la même situation avec les ordinateurs quantiques.
L’été dernier, IBM a marqué les esprits en proposant à ses clients un ordinateur quantique doté de 20 qubits. Pour la première fois, la firme proposait un appareil autonome pouvant être installé dans les laboratoires de recherche ou les bureaux d’études.
Cet automne, Big Blue s’illustre dans le gigantisme avec un nouveau processeur nommé Osprey, doté de pas moins de 433 bits quantiques.
Record mondial battu
Avec plus de 430 qubits dans une puce unique, IBM fait voler en éclats les records établis par ses concurrents.
En 2018, Google s’était félicité d’avoir créé la première puce quantique dotée de 72 qubits. Mais, à l’usage, il s’est avéré que si l’augmentation exponentielle de la puissance de calcul avait bien été au rendez-vous, le nombre d’erreurs était devenu dans le même temps incontrôlable. Dans sa génération suivante de puces, Google a donc décidé de jouer la prudence avec une puce faisant moins d’erreurs, mais dotée de seulement 53 qubits. Le géant du net serait depuis revenu aux 72 qubits, si l’on en croit un article de ses chercheurs publié il y a quelques semaines, mais les progrès se font timides et la communication discrète.
L’arrêt brutal de la progression de la taille des processeurs quantiques pouvait laisser croire que l’informatique quantique avait atteint un plafond de verre. Comme les processeurs classiques dont la fréquence maximale n’a jamais sensiblement dépassé les 4 GHz, les processeurs quantiques semblaient avoir du mal à franchir le seuil des quelques dizaines de qubits.
IBM a fait voler cette inquiétude en éclats. L’hiver dernier, ses chercheurs annonçaient avoir passé le seuil psychologique des 100 qubits avec Eagle, un processeur doté de 127 qubits.
Cette année, sa nouvelle puce Osprey dotée de 433 qubits prouve que, non seulement les progrès en termes de puissance brute ne ralentissent pas, mais qu’ils vont même en s’accélérant.
L’Osprey d’IBM est, de très loin, l’ordinateur quantique doté de la plus grande capacité. Crédit Photo : IBM
Des performances encore inconnues
Bien sûr, cette débauche de qubits est un moyen et non une fin en soi. Si comparer des nombres bruts est facile, l’objectif de l’ordinateur quantique reste de pouvoir effectuer des calculs inaccessibles aux ordinateurs traditionnels.
Dans son dernier communiqué de presse, Google a affirmé que son processeur 72 qubits a effectué en 3 minutes un calcul qui aurait demandé 10 000 ans à un supercalculateur non-quantique. La performance permet certes à la firme de Mountain View de clamer avoir atteint la suprématie quantique… mais elle l’avait déjà fait en 2019 dans le journal Nature, ce qui lui avait valu les sarcasmes de la communauté scientifique internationale tant l’annonce était contestable.
Selon les spécialistes, les comparaisons mises en avant dans les communications de Google privilégiaient artificiellement les ordinateurs quantiques. S’il est de bonne guerre de sélectionner les problèmes les plus favorables au calcul quantique pour avoir une base de comparaison flatteuse, il est intellectuellement malhonnête de pénaliser arbitrairement les ordinateurs classiques en leur imposant des algorithmes mal ficelés. Cela revient à comparer la vitesse d’un vélo avec celle d’une voiture dont on aurait retiré les roues.
Dans ce domaine, si IBM fait un peu mieux que Google sur le terrain de la transparence en évitant les communications contestables, la firme reste discrète quant à la performance réelle de ses processeurs.
Et parce que les qubits ont tendance à se parasiter mutuellement, les chercheurs étaient circonspects lors de l’arrivée du processeur embarquant 127 qubits l’an passé… et le sont tout autant envers Osprey. Rien ne sert d’avoir un ordinateur quantique surpuissant si ses résultats sont truffés d’erreurs.
De fait, le gigantisme des puces d’IBM apporte de nombreux problèmes de stabilité. Au printemps, les chercheurs d’IBM avouaient ne pouvoir maintenir la cohérence du processeur Eagle que durant la moitié d’une milliseconde. L’absence de progrès en la matière laisse planer quelques doutes quant à l’usage qui pourra être fait d’Osprey : avoir un processeur doté d’une capacité plus importante importe peu si son temps d’utilisation possible n’est que de quelques centaines de microsecondes.
Pour IBM, là n’est pas le sujet : l’annonce d’Osprey est surtout un moyen de faire savoir aux investisseurs et au reste de l’industrie que la feuille de route du groupe est toujours d’actualité.
Osprey n’est qu’une étape intermédiaire avant l’arrivée de Condor, un processeur quantique doté de plus de 1 000 qubits et, surtout, d’outils logiciels permettant de démocratiser le développement d’applications quantiques. C’est en 2023 que devraient arriver ces améliorations matérielles et logicielles, et l’offre devrait être finalisée en 2025. Il sera alors temps de tester en conditions réelles les solutions quantiques d’IBM lorsqu’elles sont utilisées non pas par les chercheurs qui les ont conçues, mais par le reste de l’industrie.
Jusqu’ici, IBM suit avec succès la feuille de route audacieuse qui doit faire naître les premières solutions quantiques complètes avant 2026. Crédit Photo : IBM