Avec un CAC 40 balbutiant qui entraîne les autres indices européens dans sa chute, les organisateurs d’introductions en Bourse freinent des quatre fers. Outre-Manche, les risques politiques et financiers commencent à peser sérieusement sur les opérations à venir. Après le report de l’IPO de Golden Goose, celle du géant SHEIN pourrait être compromise…
C’est un effet papillon dont les Bourses se seraient bien passées.
La chute du CAC 40 de -9 % sur quatre semaines se propage aux places de marché voisines. L’évolution de notre indice national, qui a même vu sa performance annuelle passer en territoire négatif durant la séance du 14 juin avant d’entamer un timide rebond, fait tache d’huile.
Entre le 14 mai et le 14 juin, la Bourse de Paris a vu sa progression depuis le 1er janvier s’effondrer de +9,4 % à -0,37 %. L’Euro Stoxx 50, qui signait un impressionnant +13 % à la mi-mai, n’a pu éviter l’effet de contagion et s’est replié sous les 4 850 points, portant sa performance annuelle à +7,2 %.
Même si les valeurs du Vieux Continent font globalement mieux que les actions françaises, cette propagation ne fait pas les affaires des groupes qui souhaitaient profiter des plus-hauts historiques des indices pour s’introduire en Bourse.
Golden Goose a été la première victime du retournement des marchés. Le fabricant italien de sneakers, qui avait prévu de boucler son IPO vendredi, a annoncé dans l’urgence le report de l’opération. Ce n’est que mercredi, soit deux jours avant la date prévue, qu’il a confirmé les informations initialement relayées par Bloomberg.
Dans la foulée de cette annonce, il se murmure que le géant de la mode éphémère SHEIN pourrait à son tour reporter son introduction prévue à la Bourse de Londres. Pour la place boursière, un report ou une annulation seraient catastrophiques tant SHEIN, qui lorgnait initialement sur New York, faisait figure de trophée.
Pour les marchés, le report de cette IPO géante signerait notre entrée dans une nouvelle ère de frilosité boursière.
Golden Goose freine juste avant la ligne d’arrivée
Le revirement in extremis de Golden Goose a de quoi inquiéter quant à l’état d’esprit des grosses mains.
Le montage était pourtant bien ficelé. Golden Goose s’appuie sur l’engouement pour les sneakers et l’appétence des consommateurs pour tout ce qui touche de près ou de loin aux célébrités. Vendant plusieurs centaines d’euros des chaussures à l’apparence usée, il affichait fièrement compter parmi ses clients Taylor Swift et Gisele Bündchen. Cette stratégie fonctionne, puisque Golden Goose a vu son chiffre d’affaires bondir de 385 M€ à 587 M€ entre 2021 et 2023. Sur la période, le cordonnier a toujours été rentable avec un bénéfice net évoluant entre 46 M€ et 87 M€.
A plusieurs centaines d’euros la paire, les sneakers Golden Goose ont su trouver leur public.
La semaine passée, Golden Goose aurait dû lever 100 M€ d’argent frais grâce à l’émission de 10 millions d’actions nouvelles. Dans le même temps, le groupe Permira (qui a racheté Golden Goose à Carlyle en 2020) comptait mettre sur le marché 44 millions d’actions existantes. Ce sont ainsi 540 M€ qui devaient être levés par l’entreprise et ses actionnaires.
Pour que les banques d’affaires qui ont accompagné l’IPO décident d’appuyer sur le bouton rouge à seulement 48 heures de la consécration, il faut qu’elles aient anticipé un risque extrême lors des premiers jours de cotation.
C’est d’ailleurs bien le risque de marché qui a été évoqué dans le communiqué du groupe italien, invoquant la « volatilité des marchés » de ces dernières semaines pour reporter l’opération.
Inquiétude sur le dossier SHEIN
L’échec de l’opération à 540 M€ de Golden Goose n’est pas de bon augure pour le dossier SHEIN.
L’entreprise d’ultra fast-fashion, dont le modèle d’affaires est basé sur un renouvellement toujours plus rapide des achats, vise une valorisation de 50 Mds$ pour son arrivée en Bourse. Pour justifier cette somme, elle a récemment décidé de s’autoriser une entorse à son positionnement historique sur le bas de gamme. Sur un an, ses prix ont augmenté de +15 % à +36 % selon les modèles, bien au-delà des hausses de tarif pratiquées par ses concurrents H&M et Zara.
Cette hausse des prix semble avoir porté ses fruits puisque, malgré une base de clientèle stagnante, SHEIN aurait vu son chiffre d’affaires bondir de +55 % sur un an selon les estimations de Coresight Research. Et comme le groupe fonctionnait jusqu’ici sur le principe des marges ultra-minces, l’effet ciseaux devrait être important sur la rentabilité qui était déjà bonne (2 Mds$ de bénéfices l’an passé pour un chiffre d’affaires de l’ordre de 30 Mds$).
Pour jouer directement dans la cour des grands, SHEIN visait initialement une entrée en Bourse à New York. Mais la Securities and Exchange Commission (SEC) a temporisé, refusant d’octroyer son feu vert au vu du risque que l’entreprise soit mise sur la liste noire de Washington du fait de ses liens avec Pékin. SHEIN n’aurait alors eu d’autre choix que de se retirer de la cote, ce qui aurait été dommageable pour la réputation du NYSE.
Les contraintes n’étaient d’ailleurs pas uniquement côté américain. L’entreprise, pourtant basée à Singapour, devait également obtenir le feu vert de la China Securities Regulatory Commission pour procéder à son IPO – une agence d’Etat qui n’a pas la réputation d’être plus permissive que la SEC.
Pour rester dans la sphère financière anglo-saxonne et ménager les sensibilités politiques, SHEIN a finalement jeté son dévolu sur Londres. La prise aurait été belle pour la place boursière qui a vu Flutter Entertainment, Arm Holdings et Tui lui échapper et a besoin de prouver qu’elle a encore un rôle à jouer entre Paris, Berlin, et New York.
Mais si la place boursière de Londres surperforme nettement Paris (sa capitalisation boursière a dépassé la nôtre depuis la semaine dernière), le risque législatif y est aussi bien présent. Comme nous, le Royaume-Uni connaîtra des élections législatives le 4 juillet prochain. L’échéance électorale apporte un risque politique supplémentaire, même si le parti travailliste est actuellement placé favori.
Selon le Financial Times, SHEIN craindrait désormais de ne pas parvenir à boucler sa levée de fonds sur la base des 50 Mds$ de valorisation espérés. A vingt-cinq fois les bénéfices anticipés et avec une croissance du chiffre d’affaires à deux chiffres, le multiple n’était pourtant pas incohérent par rapport à ses concurrents Zara et H&M (PER respectifs de 26 et 33).
Mais quand la peur s’empare des grosses mains, les analystes deviennent allergiques au changement. Le risque politique fait office de repoussoir ultime, et toutes les raisons deviennent bonnes pour rester à l’écart des dossiers pourtant plébiscités quelques semaines auparavant.
Merci
Nigel Farage dirige un parti politique au Royaume Uni qui dépasse les conservateurs en intention de vote (plus de 20%)…Il veut quitter l’espace Schengen et l’OMS.