La Chine a encore durci ses lois et Evergrande, mastodonte de l’immobilier chinois, doit maintenant se départir d’une dette colossale. On parle même de nationalisation ! Philippe Béchade s’interroge : la Chine va-t-elle suivre l’exemple de capitalisme occidental décadent ?
Evergrande… nos abonnés de la Lettre des Affranchis connaissent bien : c’est une sorte de Lehman Chinois. Mais en beaucoup plus gros. Il s’agit du 152e groupe mondial en termes de chiffre d’affaires. Et il est également dans le top 10 en Chine.
Le promoteur chinois n’est pas seulement un mastodonte de l’immobilier. En effet, à coup de croissance externe et de beaucoup d’endettement, il s’est diversifié dans les eaux minérales, l’automobile et même les parcs d’attractions (« plus grands que ceux de Disney »).
Toutefois, le conglomérat, coté à Shenzhen – sa ville d’origine – et Hong Kong, va de désillusions commerciales en dégradations de notation (Fitch le 28 juillet, Moody’s le 2 août, S&P500 le 6 août…) vers une évaluation unanime en catégorie « Junk ». Et il en va de même dans tous ses domaines d’activité.
Au soir du 2 septembre, la dette d’Evergrande se négociait à moins d’un tiers de sa valeur nominale (environ 30% du pair).
D’après une info de Bloomberg News du 3 septembre dernier, c’est le moment qu’ont choisi deux gros créanciers pour exiger le remboursement immédiat des tranches qu’ils détiennent, mettant ainsi le titre sous pression au moment le moins opportun… Evergrande tentait déjà de se dépêtrer d’une dette de 90 Mds$.
Les heures et les jours à venir pourraient acter une situation de défaut à la Lehman, avec des créanciers rincés en cas de restructuration de la dette. Ou, plus vraisemblablement, une nationalisation du groupe. Evergrande représente un enjeu social de pratiquement quatre millions de chinois dont l’emploi dépend de la survie du groupe.
Vers la fin de l’hégémonie chinoise ?
Mais le cas d’Evergrande n’est que la partie visible d’un iceberg d’une taille colossale : 65 millions de logements sont actuellement vacants en Chine. 80% n’ont même pas de propriétaires… Les promoteurs qui les ont fait sortir de terre, parfois par ensembles de milliers d’appartements empilés dans des forets de tours de 38 étages, n’ont pas pensé à les équiper en eau et électricité, les rendant de ce fait inhabitables et inoccupées.
C’est probablement Pékin qui a donné le coup de grâce aux promoteurs : il leur est désormais interdit de souscrire de nouveaux emprunts tant que les biens existants ne sont pas vendus. Les autorités locales savent pertinemment – comme vous qui nous lisez – que des millions de biens, inachevés, ne sont évidemment pas vendables.
La stratégie de promoteurs un peu trop « audacieux » consiste alors à lever des fonds pour lancer un nouveau programme, ce qui permettait de couvrir temporairement le remboursement des emprunts déjà existants mais non couverts par le produit des ventes du programme précédent.
Quel contraste entre la Chine et l’Occident !
Prenons l’exemple inverse : aux Etats-Unis, les biens immobiliers disponibles manquent. La pénurie est telle que les prix ont pris 18,5%, que les logements soient neufs ou anciens.
En Europe, un rééquilibrage des villes en faveur des « grandes couronnes » voir de la province –télétravail oblige – fait grimper les prix en dehors des métropoles. Mais la donne immobilière pourrait changer avec une inflexion de la stratégie de grands « assets managers » comme Blackrock.
Ils ont très bien compris que les prix devenaient inabordables aux Etats-Unis – ce qui était déjà le cas en Europe, à Londres, Paris, Amsterdam… Ce qui condamnait déjà les classes moyennes à rester locataires.
Et la rentabilité d’une location est bien supérieure à des lignes de bons du Trésor ou d’émetteurs notés de « AA+ à AAA » qui rapportent zéro ou affichent des rendements négatifs en Europe.
Selon la base de données Immostat, citée par le Figaro, les « institutionnels » (assureurs, caisses de retraite, foncières cotées) auraient acheté pour 5,5 Mds€ d’immobilier résidentiel à vocation locative (résidences étudiantes ou pour seniors), soit 40% de plus qu’en 2019.
Ce sont les immeubles entiers qui sont les plus recherchés, cela permet de belles économies d’échelle lors de la rénovation des appartements.
Si Blackrock jette son dévolu sur ce secteur d’investissement, ce ne sont pas des immeubles qui pourraient changer de main, mais des avenues ou même des quartiers entiers.
Les entités ultra-riches possèdent déjà l’essentiel des produits de taux (coupons), des actions (dividendes), il ne leur manquait plus que l’immobilier (loyers).
Le gouvernement chinois rêverait d’investisseurs tels que Blackrock pour voler au secours de canards boiteux comme Evergrande. Tout simplement parce que cela lui épargnerait l’humiliation de devoir à nationaliser les pertes d’un groupe privé ou à le fusionner avec une entité publique, ce qui revient au même. Bien trop proche de l’image du capitalisme occidental décadent… Mais à qui de providentiels acquéreurs loueraient-ils 65 millions de logements vacants sans eau et électricité ?
Pékin devra assumer d’éponger quelques dizaines de milliards de pertes, car l’essentiel était ailleurs. La volonté de la chine est devenir le fournisseur incontournable et quasi hégémonique des constituants de base des médicaments fabriqués dans le monde entier, des métaux raffinés pour construire des batteries, des terres rares indispensables pour faire fonctionner les batteries et les appareils électroniques.
Et tout cela, même une entité aussi riche et influente que Blackrock ne peut pas mettre la main dessus.