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Eutelsat, vers une nationalisation façon EDF ?

By 16 juin 2025No Comments

Après un rachat coûteux, une stratégie commerciale hésitante et une concurrence redoutable, Eutelsat voit sa situation financière se détériorer. Le modèle économique de l’opérateur peut-il encore tenir ? A terme, l’intervention de l’Etat sera peut-être la seule issue…

 

Dossier chéri des investisseurs tricolores pour son éligibilité au PEA, au PEA-PME, et son ancien dividende à deux chiffres, Eutelsat avait tout de la valeur « de fond de portefeuille » que l’on achète pour profiter d’une rente sur le temps long.

La stabilité de son activité et les barrières à l’entrée semblaient en faire une valeur à l’épreuve du temps. Il est vrai que la conception et l’exploitation de satellites n’est pas une mince affaire ! Mais l’arrivée de la télévision par Internet a conduit à l’érosion de son activité de diffusion de contenus, tandis que l’émergence de l’offre Internet de SpaceX, Starlink, a brutalement rendu obsolète son offre de connectivité par satellites géostationnaires.

Le coup de grâce a été donné par les instances européennes, lorsqu’elles décidèrent à l’automne 2023 qu’Eutelsat aurait pour mission de fournir au Vieux Continent une connectivité à Internet plus moderne. L’opérateur satellitaire a alors été contraint de racheter à grands frais son concurrent en faillite OneWeb, et ce sans aucune considération pour les actionnaires privés qui furent mis devant le fait accompli. Cette véritable spoliation à 3,4 Mds€ n’a pourtant pas permis à l’opérateur historique de concurrencer efficacement SpaceX.

Aujourd’hui, malgré une flotte atteignant les 650 satellites, OneWeb ne parvient toujours pas à offrir une solution crédible pour se différencier des services proposés par Elon Musk.

Le dividende, prétendument suspendu temporairement pour financer l’intégration de OneWeb, ne reprendra pas de sitôt. Alors qu’il était censé être rétabli après l’exercice 2025, l’état des comptes d’Eutelsat ne laisse guère d’espoir pour les actionnaires. Pire encore : outre la disparition sine die de leur rémunération, ils doivent désormais se préparer à une recapitalisation. Selon de plus en plus d’analystes, elle devient inévitable – et l’état des comptes d’Eutelsat rend malheureusement cette hypothèse très probable.

 

Action_Eutelsat_sur_12_mois

Evolution de l’action Eutelsat sur 12 mois.
Infographie : Google Finance

 A la fin de l’hiver, l’action Eutelsat s’était envolée alors que l’Europe affichait son intention de s’émanciper de sa dépendance à SpaceX. L’exemple de la guerre en Ukraine, dont l’armée est dépendante du bon vouloir d’une entreprise privée américaine, donnait des sueurs froides à Bruxelles. Les marchés avaient alors espéré qu’Eutelsat bénéficie d’une augmentation des commandes militaires, « au nom de la souveraineté spatiale », à l’instar de Dassault, Rheinmetall et autres Thales.

Las, non seulement la corne d’abondance européenne ne fera rien pour les comptes de l’opérateur satellitaire, mais les actionnaires actuels pourraient même se retrouver fortement dilués par une recapitalisation, voire une nationalisation.

 

Eutelsat : l’échec de la connectivité « Made In Europe »

Le rachat de OneWeb devait moderniser l’offre de connexion satellitaire d’Eutelsat. Ses services historiques étaient basés sur des satellites géostationnaires chers, loin de la Terre, et lourds. Ses clients devaient se contenter d’une offre peu compétitive, avec des antennes encombrantes, offrant une latence élevée incompatible avec les usages modernes : trois critères sur lesquels SpaceX fait bien mieux.

La flotte de OneWeb, située comme celle de SpaceX en orbite basse, devait ouvrir la voie à la commercialisation d’une offre capable de rivaliser avec celle de la firme d’Elon Musk.

Deux ans plus tard, OneWeb peut se targuer de disposer de près de 700 satellites en orbite. Un nombre suffisant pour couvrir une large partie du marché… mais incroyablement réduit par rapport aux 7 000 satellites de la constellation Starlink.

Sa constellation ne permet même pas de couvrir un utilisateur par kilomètre-carré au sol, et n’est donc pertinente que pour les clients riches et loin de tout. Ne pouvant pas s’adresser au marché de masse des grandes zones urbaines, sa clientèle-cible est une niche minuscule qui lui interdit d’espérer toute croissance significative.

 

Des finances dans le rouge

Lors du rachat de OneWeb, la promesse faite aux marchés était d’atteindre rapidement le milliard d’euros de chiffre d’affaires par an grâce à la vente de solutions Internet. Un chiffre crédible face au chiffre d’affaires de 1,4 Md$ engrangé par Starlink en 2022, et aux 11,8 Mds$ prévus cette année. Mais malgré le lancement de son offre commerciale à grande échelle, OneWeb devrait péniblement engranger 120 M€ cette année – à peine plus de 10 % de l’objectif initial, et 1 % du volume d’affaires de son concurrent américain.

Pire encore, le financement de cette constellation (si petite qu’elle soit) est un gouffre financier. Il nécessite 700 à 800 M€ par an, alors que le groupe génère péniblement 500 M€ de cash-flow sur l’ensemble de ses activités. En comptant les investissements dans Iris2, la constellation européenne qui doit être lancée en collaboration avec SES et Hispasat, le besoin en financement atteint les 5 Mds€.

Non seulement la somme est impossible à financer grâce à la génération de cash-flow, mais en plus elle représente l’équivalent de trois fois la capitalisation boursière actuelle. Face à un tel besoin en argent frais, une recapitalisation est inévitable. Certains évoquent même un renforcement de l’Etat français qui mettrait Eutelsat dans les pas d’EDF, renationalisée en pleine débâcle.

 

La fuite des actionnaires avant la tempête capitalistique

Le mois dernier, lors de l’annonce des résultats trimestriels, le directeur financier du groupe Christophe Caudrelier avait déclaré qu’Eutelsat cherchait de nouveaux investisseurs.

Le message n’a pas porté : non seulement les investisseurs ne se bousculent pas, mais l’ambiance est plutôt au sauve-qui-peut chez les actionnaires historiques. Le 5 juin, le groupe sud-coréen Hanwha Systems a vendu la totalité de sa participation de 5,4 % dans l’opérateur. Cédant ses titres à seulement 3 € l’unité, soit une décote de 13,9 % par rapport au dernier cours de Bourse, il n’a récupéré que 77,6 M€ dans l’opération.

Plutôt que de rester au capital de l’opérateur satellitaire, Hanwha Systems a préféré matérialiser une perte de 74 % par rapport à son investissement initial de 300 M€ en 2021. Une décision qui en dit long sur le potentiel du dossier, à court comme à long terme.

Etienne Henri

Etienne Henri est titulaire d'un diplôme d'Ingénieur des Mines. Il débute sa carrière dans la recherche et développement pour l'industrie pétrolière, puis l'électronique grand public. Aujourd'hui dirigeant d'entreprise dans le secteur high-tech, il analyse de l'intérieur les opportunités d'investissement offertes par les entreprises innovantes et les grandes tendances du marché des nouvelles technologies.

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