Elon Musk est bien connu dans le milieu de la tech pour les explosions fréquentes – et pleinement assumées – de ses fusées. Depuis quelques mois, le milieu de la finance découvre qu’il est aussi capable de faire voler en éclats le bilan des banques.
Au mois d’octobre dernier, je vous relatais la face cachée du rachat de Twitter : une dette bancaire d’une ampleur historique. Celle-ci avait été contractée en mettant en gage des actions Tesla dont la valeur venait de se contracter de -43 % en six mois. Ainsi, Elon Musk laissait aux banques une ardoise de 25 Mds$ dont la garantie s’était évaporée, mettant les établissements face à des obligations d’une ampleur non négligeable par rapport à la taille de leur bilan.
Six mois plus tard, le contexte monétaire s’est considérablement tendu.
Si le défi pour les banques était, à l’automne 2022, de trouver des apporteurs de liquidité dans un contexte de credit crunch, la hausse des taux d’intérêt qui s’est accélérée est venue réduire la valeur faciale de la « dette Twitter ».
Pour Morgan Stanley, Bank of America, Barclays, la Société Générale et BNP Paribas, qui cherchaient à placer cette dette auprès d’investisseurs tiers, c’est une véritable double peine. Non seulement les montants à placer sont tellement importants qu’ils nécessitent de pouvoir séduire des « grosses mains » qui ont aujourd’hui un besoin vital de conserver leurs liquidités, mais la baisse de la valeur de marché de ces obligations obligerait à matérialiser une perte.
Aux dernières estimations, un tel placement pourrait coûter jusqu’à 4 Mds$ aux banques ayant prêté à Elon Musk. Une telle perte comptable serait fort malvenue alors que les faillites se multiplient aux Etats-Unis, et que la question de la solidité des banques européennes revient sur le devant de la scène.
L’ardoise de la « dette Twitter » aurait quintuplé
Les estimations de l’automne 2022 avaient déjà fait office de séisme pour le monde de la finance. Pour syndiquer les 13 Mds$ apportés à Elon Musk pour financer son rachat de Twitter, le Wall Street Journal estimait à l’époque que les établissements devraient faire une croix sur près de 500 M$.
Depuis, l’évolution de la rémunération de l’épargne sans risque a été particulièrement sage. Elle a même légèrement reflué : le taux d’intérêt des emprunts d’État américains à deux ans est passé de 4,22 % au 1er octobre 2022 à 4,06 % au 1er avril 2023, tandis que le dix ans est passé de 3,83 % à 3,48 % sur la même période.
Paradoxalement, cette détente sur les taux d’intérêt n’a pas permis à la dette d’Elon Musk de retrouver de la valeur.
La raison est simple : l’emprunt contracté par le milliardaire n’est pas sans risque, loin de là. Malgré leur récent rebond, les actions Tesla apportées en nantissement sont passées de 265 $ à 195 $ en six mois, soit une contraction de -26 %. Calculée entre janvier 2022 et janvier 2023, la baisse atteint même les -65 %.
Selon Bloomberg, les incertitudes sur la solidité de la dette d’Elon Musk pourrait inciter les preneurs à demander une décote plus importante que prévu par rapport à la valeur nominale. Elle pourrait atteindre les 30 %, ce qui causerait une moins-value de près de 4 Mds$.
Elon Musk coûterait ainsi au consortium qui l’a aidé à financer l’acquisition du réseau social l’équivalent des résultats nets 2022 du CIC et de la Société Générale réunis, ou encore l’ensemble de celui du groupe Crédit Mutuel.
Et contrairement aux moins-values des portefeuilles obligataires des banques, qui restent latentes tant qu’elles ne sont pas cédées et retrouvent leur valeur nominale lorsque les obligations arrivent à maturité, le placement de cette dette figerait dans le marbre sa valeur lors de la transaction. Les milliards de perte seraient alors irrémédiablement comptabilisés – tout éventuel rebond de la valeur des obligations ne pouvant par la suite profiter qu’aux acquéreurs.
Loin d’être un scénario du pire qui serait motivé par des craintes autour du comportement du milliardaire californien, la décote anticipée par Bloomberg tient compte des difficultés traversées par un autre géant bancaire, Goldman Sachs, pour placer une dette, pourtant plus solide, contractée l’année passée.
Le précédent inquiétant de Goldman Sachs sur le dossier Citrix
Avant même de s’attaquer au placement de la « dette Twitter », les grandes banques américaines avaient déjà d’encombrantes dettes à refinancer en début d’année.
Le rachat de Citrix avait été financé par un pool bancaire à hauteur de 15Mds$. Dans l’incapacité de conserver un tel montant dans leur bilan, les banques ont fait avec la conjoncture et syndiqué la dette sur le marché.
L’opération ne s’est pas faite sans douleur. Moins de 4 Mds$ ont pu être placés, et les établissements ont été contraints, selon Bloomberg, de consentir à une décote de plus de 20 % par rapport au prix facial.
Ainsi, alors qu’à peine un quart de la dette a pu être sorti du bilan des prêteurs, les pertes se montent déjà à plus de 700 M€.
Pour Goldman Sachs qui menait l’opération, cette perte tombe au plus mal. Au premier trimestre 2023, le géant a enregistré une contraction de -18 % de son bénéfice net, qui s’est établi sous les 3,25 Mds$. Le trading obligataire, qui était historiquement un poste de profit, a reculé de 17 % sur la période. Cette baisse fait suite au plongeon de -66 % du bénéfice net au dernier trimestre 2022, et ne présage rien de bon pour les résultats sur l’exercice 2023.
La faillite de la Silicon Valley Bank a attiré l’attention des investisseurs sur le risque de bank run. Même en l’absence d’un évènement de ce type, les établissements qui faisaient leurs choux gras de la syndication de dette sont dans une position délicate en ce début d’année.
Dans le pire des cas, des milliards de dettes « collés » au bilan pourraient obliger ces établissements à se recapitaliser pour renforcer leurs fonds propres. Pour les actionnaires, la dilution induite pourrait causer des moins-values irrécupérables.