Boeing enchaîne les mauvaises nouvelles et les crises. Après les accidents impliquant le 737 MAX, l’échec de sa mission spatiale et la grève qui secoue actuellement ses usines, le constructeur américain vient d’annoncer une recapitalisation. Le cours de l’action, déjà en baisse, pourrait continuer à souffrir pendant un certain temps.
Chez Boeing, il n’y a pas que les avions qui volent en escadrille, les déconvenues aussi. La formulation plus fleurie de Jacques Chirac serait parfaitement adaptée à la situation de l’avionneur, qui voit les crises s’amonceler.
Coup dur après coup dur, l’avionneur avait jusqu’ici réussi à faire le gros dos et à mettre à profit la diversification de son activité, sa taille et sa résilience pour rassurer les investisseurs.
Mais de crise en crise, sa solidité bâtie sur des activités pourtant bien cloisonnées s’est érodée. Le groupe a publié des résultats trimestriels calamiteux, et ses relais de croissance potentiels disparaissent les uns après les autres.
Fin de la suprématie industrielle, impossibilité d’équilibrer les comptes avec les commandes publiques, et désormais une recapitalisation : le dossier Boeing ressemble de plus en plus à Atos. Si l’Etat français – pourtant volontiers interventionniste – n’a pas réussi à sauver son fleuron industriel, il est désormais permis de s’interroger sur la pérennité du groupe aéronautique américain.
La rentabilité intrinsèque étant désormais hors d’atteinte, il ne reste guère plus qu’à espérer que le prochain locataire de la Maison Blanche soutienne le constructeur – planche à billets à l’appui – pour assurer sa survie. Nationalisation de fait ou ruine des actionnaires par recapitalisation coûteuse : les perspectives ne sont guère reluisantes.
Depuis le début d’année, l’action Boeing cède 40 %… et la baisse pourrait n’être qu’à ses débuts. Infographie : Investing.com
Les trois crises qui ont mis Boeing au tapis
La suprématie du constructeur a d’abord été entamée par les tragiques accidents des 737 MAX. Boeing a vu ses efforts de redressement entravés par de nouvelles défaillances techniques découvertes lors des inspections, et la révélation de collusions avec la FAA lors du processus de certification initiale de l’appareil. Le groupe, qui bénéficiait d’une réputation basée sur la qualité et la rigueur, a perdu simultanément la confiance des régulateurs et celle des clients.
La seconde crise majeure a été causée par la pandémie, qui a entraîné des perturbations des chaînes d’approvisionnement. Les retards de livraison et les pénuries de composants essentiels ont causé des goulets d’étranglement sévères dans la production. Incapable de tenir les cadences pré-pandémie, les calendriers de livraison du groupe sont devenus de plus en plus imprévisibles. Cette situation a forcé Boeing à revoir ses prévisions financières à la baisse.
La normalisation de la situation du secteur aéronautique aurait dû permettre de faire oublier ces épisodes. Mais les changements répétés à la tête de l’entreprise ont conduit à un manque de vision et de direction claire. Dennis Muilenburg, qui devait impulser une nouvelle vision après les dix ans de James McNerney à la tête du groupe, ne sera resté en poste que quatre ans. Dave Calhoun, intronisé en pleine pandémie, a été remercié en début d’année à la suite de nouveaux incidents sur les 737 MAX.
Le nouveau P-DG, Kelly Ortberg, a réussi à perdre la confiance des actionnaires et des employés en moins de six mois. Le 13 septembre, plus de 33 000 employés ont déclenché un mouvement de grève inédit dont la fin se fait toujours attendre.
Des relais de croissance qui s’évaporent
Boeing n’est pas qu’un avionneur, c’est aussi un acteur de poids du programme spatial américain et l’un des fournisseurs principaux du secteur de la défense.
Ces deux autres piliers de son activité auraient pu lui permettre d’absorber le trou d’air dans l’aviation commerciale – mais ils se sont effondrés à leur tour.
Dans le spatial, le programme Starliner a tourné au fiasco. Dès les premiers vols de test, des anomalies ont émergé, révélant des problèmes de conception et de contrôle qualité. Le premier vol non habité en décembre 2019 a été un échec cuisant, l’engin n’ayant pas atteint l’orbite souhaitée en raison de problèmes logiciels critiques. Au même moment, son concurrent SpaceX multipliait les vols à succès avec sa capsule Dragon.
Valves coincées, fuites de carburant et autres défaillances techniques ont obligé Boeing à retarder à plusieurs reprises son premier vol avec des astronautes à bord. La première mission habitée, lancée le 5 juin, a été une véritable débâcle. Les dysfonctionnements ont été si importants que la capsule a finalement rejoint la Terre vide, laissant à SpaceX le soin de porter secours aux astronautes dont le séjour, prévu pour durer une semaine, s’étirera finalement sur huit mois.
Le Starliner de Boeing a connu tant de défaillances lors de son vol habité inaugural qu’il a quitté la Station spatiale internationale vide. Photographie : Boeing
L’activité de défense n’est pas dans une meilleure situation.
Depuis plusieurs années, la gestion des contrats militaires était une source d’inquiétude. Les contrats signés à prix fixe avec les forces armées et la mauvaise estimation des coûts de R&D faisaient de cette division une source de pertes récurrentes. Fin 2023, la branche défense et espace représentait 25 Mds$ de chiffre d’affaires et générait une perte opérationnelle de 3,5 Mds$. Les avions de chasse F-15 et les F/A 18 Hornet fournis à la Navy ne se vendent quasiment plus, et les quelques exemplaires assemblés chaque année ne génèrent presque plus de marge.
Le KC-46, l’avion ravitailleur dont le programme a déjà causé plus de 7 Mds$ de pertes, peine toujours à l’export et s’avère décevant pour ses quelques clients.
Face à la gravité de la situation, Kelly Ortberg a décidé de rassurer les marchés en limogeant Ted Colbert, le président exécutif de Boeing Defense, Space & Security. Mais, en l’absence de successeur désigné et de stratégie claire quant à l’avenir de cette branche censée apporter un socle d’activité au groupe, la mise à pied n’est guère rassurante.
Des pertes qui se comptent en milliards
Alors que le reste du monde de l’aéronautique traverse un âge d’or, Boeing a signé son pire trimestre depuis le début de la pandémie. Sa perte nette a atteint les 6,2 Mds$, malgré un chiffre d’affaires stable à 17,84 Mds$.
La division aviation commerciale a causé une perte d’exploitation de 4 Mds$ pour 7,4 Mds$ de chiffre d’affaires, soit une marge négative de -54 %. La performance est tout aussi mauvaise dans l’activité espace & défense, avec 2,4 Mds$ de pertes pour 5,5 Mds$ de chiffre d’affaires. Il ne reste plus que l’activité de services qui parvient à rester rentable, apportant une maigre contribution de 0,8 Md$ aux comptes du groupe.
Ce résultat est d’autant plus préoccupant que les pertes constatées au titre du troisième trimestre n’intègrent que deux semaines calendaires de grève. La semaine dernière, Boeing a annoncé la mise en vente d’actions nouvelles pour un montant de 14 Mds$, assortie d’une émission d’obligations convertibles en actions pour un montant supplémentaire de 5 Mds$.
Avec un cours maintenu en lévitation, la dilution pour les actionnaires historiques ne sera « que » de 20 %. Mais le risque est que le marché passe d’un état d’indifférence bienveillante à la méfiance. Face aux pertes qui s’accumulent, les actionnaires n’accepteront pas éternellement de financer les dépenses par l’injection d’argent frais.
A ce moment-là, en l’absence de perspective d’amélioration des comptes, le cours de l’action pourrait plonger vers son ancien niveau des 72 $.
Bonjour M.Henri,
Merci pour cette analyse précise et complète, digne d’un travail d’ingénieur. Tiens, c’est bizarre …
Bonne journée.
Stéphane Leclerc