Ces vingt dernières années, la suprématie militaire américaine a été largement challengée par des modes de combat peu coûteux mais redoutablement efficaces. Que ce soit en Afghanistan, en Irak, ou dernièrement en Israël, les faits ont montré que les technologies de pointe et les armes sophistiquées ne permettent pas toujours de gagner des guerres. James Altucher est allé interroger un spécialiste de la question…
Des drones.
Mais pas n’importe lesquels…
Des drones que vous pouvez acheter sur Amazon.
C’est ainsi que le Hamas a réussi à déjouer l’un des systèmes de surveillance les plus sophistiqués au monde.
Il y a deux semaines, j’ai parlé du Hamas avec Chris Kirchhoff dans mon podcast. Il est l’auteur du livre Unit X : How the Pentagon and Silicon Valley are Transforming the Future of War (non traduit en français).
« Il s’agissait de drones bon marché », a-t-il déclaré, « pas de drones militaires. Des drones que vous et moi utiliserions pour nous filmer en train de faire du skateboard ou du ski ».
En octobre dernier, le Hamas les a utilisés pour neutraliser la surveillance israélienne. Ensuite, ils ont envoyé plus d’un millier de parapentes.
Je voulais savoir comment cela avait pu arriver. Je voulais aussi savoir si les Etats-Unis étaient réellement prêts à s’adapter à cette nouvelle façon de combattre : des offensives à faible coût et à fort impact.
Si Israël, avec toutes ses technologies de défense de pointe, peut être pris au dépourvu de la sorte, qu’est-ce que cela dit des Américains ? Sont-ils vraiment aussi invincibles que nous le pensons, ou est-ce simplement une question de réputation ?
Pourquoi les Etats-Unis échouent-ils aujourd’hui ?
Si quelqu’un le sait, c’est bien Chris. Il a passé des années à faire la liaison entre la Silicon Valley et le Pentagone.
D’abord conseiller principal du Comité des chefs d’état-major interarmées, il a aujourd’hui pour mission de combler le fossé entre l’armée américaine et les nouvelles technologies, notamment en participant à des initiatives telles que l’Unité d’Innovation pour la Défense (DIU), sur laquelle nous reviendrons.
Sa réponse a été claire : les stratégies qui fonctionnaient auparavant – plus de chars, des avions plus rapides, des navires plus grands – ne permettent plus de gagner les guerres.
Les adversaires des Etats-Unis ont compris comment contourner les forces de l’armée américaine et exploiter ses faiblesses, grâce à une technologie bon marché et accessible.
Avec Chris, nous avons parlé de beaucoup de choses.
Nous avons parlé de l’intelligence artificielle, des défis politiques, et des vulnérabilités militaires. Nous avons parlé du fait que le Pentagone n’achète pas son matériel sur Amazon, de la façon dont les Etats-Unis sont en train de prendre du retard… et de ce qu’ils font maintenant pour le rattraper.
Quand l’armure se fissure
J’ai toujours été un peu sceptique.
L’armée américaine est censée être la force de frappe la plus avancée au monde.
Pourtant, de temps à autre, une technologie obscure provenant d’un pays plus modeste fait son apparition, et on commence à se demander si les Américains sont en train de perdre leur suprématie.
Nous avons tous entendu parler des technologies tape-à-l’œil sur lesquelles ils s’appuient : les drones, l’intelligence artificielle, les cyberarmes.
Mais voilà : le tape-à-l’œil n’est pas toujours synonyme d’efficacité.
« Il est important de prendre du recul et de se rendre compte que, comme toute chose, la technologie qui assure la supériorité militaire connaît des hauts et des bas », m’a expliqué Chris.
Il fut un temps où la cavalerie régnait sur le champ de bataille. Puis vint la Première Guerre mondiale et les chars d’assaut prirent le relais, avant d’être supplantés par les cuirassés. Enfin, la Seconde Guerre mondiale a été celle des porte-avions.
Aujourd’hui, les adversaires des Etats-Unis construisent des systèmes spécialement conçus pour vaincre les forces des militaires américains.
« Il y a quelques semaines, les Ukrainiens ont dû retirer du front les 31 chars de combat M1A1 Abrams que les Etats-Unis leur avaient fournis, car plus d’un quart d’entre eux avaient été détruits par des drones kamikazes russes », explique Chris.
Il s’agit du char le plus avancé de l’arsenal américain.
« En 2016, si vous étiez allé voir un général quatre étoiles de l’armée américaine en lui disant : « Je vous parie que dans 10 ans, les drones seront capables de vaincre les chars », il vous aurait répondu : « Vous avez raison. ».
Aujourd’hui ? « Aucun général quatre étoiles ne prendrait ce pari ».
Votre iPhone plus puissant qu’un F-35
Bien sûr, nous avons les F-35, ces superordinateurs volants capables d’abattre n’importe quoi dans le ciel. Mais ces avions sont le produit d’une époque révolue où la puissance militaire se caractérisait par sa taille, son coût et sa complexité.
Aujourd’hui, les règles ont changé, l’agilité et l’adaptabilité sont essentielles.
« Ce qui se passe dans le complexe militaro-industriel n’est pas en soi insensé ou illogique », explique Chris.
C’est juste que les inégalités se réduisent… Aujourd’hui, le marché de la microélectronique est accessible à l’échelle mondiale.
« Nos adversaires sont désormais en mesure d’acheter une grande partie de la technologie que l’armée américaine achète elle aussi ».
Soit dit en passant, ce n’était pas le cas pendant la guerre froide.
A l’époque, la DARPA, (l’agence en charge de la recherche et du développement des technologies militaires américaines), avait dans ses placards des technologies qui étaient en avance de six ou sept générations sur que ce que les gens utilisaient au quotidien.
Aujourd’hui ? C’est tout le contraire : « Les iPhone que nous avons dans nos poches sont en fait bien plus avancés que le processeur du F-35, parce que l’écosystème de la technologie grand public s’est considérablement élargi ».
Armée américaine : la politique de la guerre
C’est là qu’interviennent Chris et son travail à la Defense Innovation Unit (DIU). La DIU est une organisation du Pentagone créée pour combler le fossé entre l’armée américaine et les nouvelles technologies issues de la Silicon Valley.
Son rôle est avant tout d’identifier, évaluer et intégrer les technologies commerciales dans les opérations militaires.
Il y a aussi la nouvelle initiative Replicator du Pentagone, qui se concentre sur le développement de systèmes d’armes autonomes et peu coûteux.
L’objectif est de créer un grand nombre de systèmes peu coûteux, mais efficaces, pouvant être produits rapidement et en grande quantité pour écraser les adversaires.
Mais une question demeure : est-ce suffisant ?
L’une des parties les plus intéressantes de notre conversation a été le défi politique. Après tout, c’est une chose de savoir ce qu’il faut faire, c’en est une autre de le faire.
Fermer les usines de chars et réaffecter les ressources à l’IA et aux systèmes autonomes n’est pas seulement une décision militaire, c’est aussi une décision politique.
Des communautés entières dépendent de ces usines. On ne peut pas les fermer sans s’exposer à des réactions négatives de la population.
Chris a souligné que le Congrès commençait à s’intéresser à la question, lentement mais sûrement. Les députés ont même codifié la mission de l’Unité d’Innovation de la Défense dans la loi, en la dotant d’un budget d’1 Md$.
Ce n’est que le début : les membres de la DIU se heurtent régulièrement à la bureaucratie, à la tradition et à l’inertie propre à la première superpuissance mondiale.
L’avenir de l’armée américaine
Où en sont les Etats-Unis ? Sont-ils en train de prendre du retard ? Oui, d’une certaine manière. Mais ils sont également en train de pivoter.
L’avenir de la guerre ne consistera pas à savoir qui possède le plus grand nombre de chars ou les avions à réaction les plus rapides ; il s’agira de savoir qui peut innover le plus rapidement, qui peut s’adapter aux nouvelles menaces et qui peut intégrer les nouvelles technologies de la manière la plus efficace.
Le point de vue de Chris est clair : les Etats-Unis sont à la croisée des chemins.
Ils ne peuvent plus se permettre de se reposer sur leurs lauriers.
Ils ont le talent, les ressources et la volonté, mais ils doivent les adapter aux réalités de la guerre moderne.
S’ils ne le font pas, ils risquent de devenir une relique du passé, dépassés par des nations désireuses de prendre des risques et d’embrasser l’avenir.
Découvrez l’intégralité du podcast (en anglais) ici.
James Altucher
Article instructif. Si l’armée Américaine n’est pas aussi puissante qu’il n’y paraît, alors une guerre mondiale pourra être évitée. On observera que le nucléaire garde toute sa puissance, reste « confidentiel » et que la Russie semble avoir un avantage. Merci.