Avec l’essor de la mobilité propre, BASF pourrait bien devenir le premier fournisseur de métaux stratégiques des constructeurs automobiles, devançant ainsi les producteurs historiques dont les flux sont issus des mines. Pourquoi ? Parce que l’entreprise de chimie allemande a mis la main sur un nouvel or noir que ses concurrents ne savent pas encore exploiter…
Le lithium est souvent appelé « nouvel or blanc » par opposition au pétrole. Sa couleur gris-argenté, son usage dans l’électricité verte et sa capacité à être recyclé lui donnent une image de pureté à l’opposé des hydrocarbures.
Pour le spécialiste de la chimie industrielle BASF, c’est pourtant une forme aujourd’hui délaissée – et peu appétissante – du lithium qui pourrait représenter un marché se comptant en milliards de dollars.
La black mass (masse noire), résidu de traitement des batteries, est loin d’avoir la propreté du lithium métallique. Salissante, polluée de nombreuses impuretés, impropre à l’usage en l’état, elle se présente sous la forme d’une poudre ressemblant à de la poussière de charbon. Elle regorge cependant de métaux et s’avère être une source de lithium bien plus concentrée que les roches issues des meilleurs gisements miniers.
La black mass (à gauche), un or noir à transformer en or blanc (à droite, du lithium métallique) Images : Aquametals/Evek
Avec l’essor de la mobilité propre et la croissance exponentielle du nombre de batteries dans notre quotidien, la question de leur fin de vie se pose de manière de plus en plus pressante. Les batteries conçues avec les technologies actuelles vieillissent inexorablement, et leur capacité – même dans des conditions idéales – s’effondre au bout de quelques années et de quelques centaines de cycles de fonctionnement.
Mais recycler des batteries est loin d’être aussi simple que recycler de l’acier, de l’aluminium, ou même du plastique. La multiplicité des composés utilisés, certains en grande quantité et d’autres en simples traces, rend leur séparation difficile.
Les industriels avaient beau jeu de chauffer et broyer les cellules contenues dans les batteries usagées pour leur enlever toute dangerosité, la question de la valorisation restait en suspens.
Désormais, la black mass est vue non plus comme un déchet industriel à gérer, mais comme une source de profits potentielle. Alors que la plupart des minières restent encore frileuses lorsqu’est évoquée l’idée de retraiter ce résidu, le chimiste BASF se fait fort d’utiliser son expertise dans les procédés industriels pour parvenir à en extraire des métaux à coût inférieur à celui de l’extraction minière.
Un gisement hyper-concentré
La black mass regroupe tous les composés actifs d’une batterie. Elle comporte nickel, cobalt, manganèse et lithium, dont les stocks sont loin d’être infinis à l’échelle des besoins de la transition énergétique. En effet, les producteurs primaires auront le plus grand mal à répondre à la croissance de la demande d’ici la fin de la décennie.
A terme, industriels comme pouvoirs publics savent que le recyclage des batteries sera nécessaire – que ce soit pour éviter de voir les résidus polluants s’entasser ou simplement pour répondre à la demande.
Les grands groupes miniers ont donc commencé à travailler sur le sujet, comme Rio Tinto, Orano ou Eramet. Mais si la plupart d’entre eux ont déjà des programmes de recherche et prévoient la construction d’unités-pilotes, ils considèrent que la problématique ne gagnera en importance que lorsque la première génération de voitures électriques arrivera en fin de vie, soit dans la prochaine décennie. Orano n’en est qu’à évoquer la construction de lignes de test, tandis qu’Eramet n’imagine la construction de sa première usine de recyclage qu’en 2027 au plus tôt.
La frilosité de ces acteurs se comprend dans la mesure où leur rôle est de fournir des métaux à l’industrie. Tant que ceux-ci restent disponibles et moins chers avec les procédés miniers classiques, le recyclage n’est qu’une distraction gourmande en R&D et en capitaux qui seraient plus rentables en étant investis dans de nouvelles mines.
De son côté, BASF voit la question sous l’angle de la chimie industrielle et de la valorisation des déchets. Ne disposant pas de ressources minières, sa seule source de lithium potentielle est donc le recyclage. Le choix de se lancer ou non dans cette activité dépend uniquement de la capacité à recycler le lithium pour moins cher que le coût attendu de revente sur le marché.
Si l’on en croit les dernières annonces du groupe, la rentabilité est désormais au rendez-vous.
Une première usine déjà opérationnelle
L’an dernier, BASF annonçait son projet de construction d’une unité dédiée aux batteries à Schwarzheide, en Allemagne. L’objectif était de faire sortir de terre, dès le début de l’année 2024 (en moins de deux ans), un site capable de recycler plus de 15 000 tonnes de batteries par an, soit l’équivalent du poids des batteries contenues dans 30 000 Tesla.
Le chimiste a alors reçu le soutien de la Commission européenne qui lui a donné accès aux financements dans le cadre de l’European Battery Alliance, un fonds de 925 M€ sur cinq ans chargé de subventionner la R&D sur le Vieux Continent.
Cette échéance, jugée à l’époque ambitieuse, a finalement été devancée puisque l’unité a été inaugurée cet été.
Le site de Schwarzheide, qui était plus connu pour sa production de polyuréthane, de revêtements, de produits chimiques industriels et même de carburant issu de charbon durant la Seconde Guerre mondiale et sous l’URSS, est désormais équipé d’une ligne de production de matériaux utilisés dans les cathodes de batteries neuves, et devrait voir la ligne de recyclage opérationnelle sous peu.
BASF sera ainsi l’un des premiers industriels à « fermer la boucle » du cycle de vie des batteries. Fournissant à la fois les composés utilisés dans les batteries neuves et récupérant les déchets en fin de vie, l’allemand devrait prendre au fil du temps une part croissante dans le marché mondial des métaux de la transition énergétique.
Il grille ainsi la politesse aux minières qui, en se focalisant sur les flux à bas prix, sont en train de négliger le stock considérable qui est en train de se constituer. Les métaux de la transition énergétique ne disparaissant pas lors de leur utilisation, les volumes qui reviendront sur le marché représenteront dans quelques années l’équivalent des volumes de production.
En régime stationnaire, par définition, la quantité de batteries recyclées annuellement sera comparable à l’ensemble des besoins de l’industrie.
Lorsque la migration vers la voiture électrique sera achevée, BASF pourrait bien devenir le premier fournisseur des constructeurs automobiles, damant le pion aux producteurs historiques dont les flux issus des mines ne trouveront plus preneurs.
Sur le plan financier, à court terme, si le support oblique tient sur les 43 €, un rebond de 10 % de l’action est possible à 47,70 €, avec par extension en sortie de figure, un retour vers les 53 € du début d’année.
Belle feuille de route à long terme et volatilité à court terme, l’action BASF peut séduire les traders comme les investisseurs. Infographie : Investing.com
Dans le cas contraire, un retour sur les 38 € serait probable, offrant une opportunité d’achat de long terme intéressante.