Bibendum se porte encore bien… Mais pour combien de temps ? Le spécialiste du pneumatique français Michelin pourrait bien manquer d’air dans les prochaines années… En effet, si les chiffres de l’exercice 2022 sont plutôt rassurants, le pneumaticien doit composer avec un marché automobile qui n’en finit plus de se contracter. Seule bouée de sauvetage en vue pour Michelin, l’hydrogène…
Selon les chiffres de NGC-Data relayés par l’Argus, le marché français des véhicules particuliers neufs s’est encore contracté en 2022 (-8 %). Une baisse encore plus importante qu’en 2020. Année qui avait en effet elle-même battu le record précédent atteint en 1975.
Par rapport aux 2,2 millions d’immatriculations enregistrées en 2019, seulement 1,53 million de voitures neuves ont rejoint les routes en 2022. Ainsi, sur trois ans, la baisse atteint ainsi les -31 %.
La baisse ne touche pas que le marché du neuf. Selon l’INSEE, le nombre de véhicules en service stagne depuis des années. En effet, entre 2016 et 2021, le parc de voitures particulières n’a augmenté que de +3 %. Celui des bus et des cars d’à peine +1,1 %. Il n’y a guère que le parc de poids lourds qui peut se targuer d’afficher une hausse de +4,2 %. Pourtant, ces chiffres restent dérisoires par rapport à la progression de l’économie française sur la même période (+19,6 %).
Dans un marché en plein marasme, Michelin a dû faire des choix. Ainsi, pour maintenir ses marges et ses bénéfices, le groupe a opté pour la stratégie la plus évidente : la course vers le haut de gamme. Mais, comme le savent les spécialistes, la fuite en avant vers les tarifs toujours plus chers ne dure qu’un temps. A moins de se positionner comme marque de luxe où le prix fait la valeur, vient nécessairement un seuil de prix au-delà duquel les consommateurs se déportent vers les alternatives. Et, de fait, les ventes s’effondrent… Pour une marque grand public comme Michelin, les hausses de tarifs doivent être limitées dans le temps. Et les marges dégagées doivent servir à trouver des relais de croissance.
La direction semble en avoir bien conscience. En témoigne l’importance croissante accordée à la motorisation à hydrogène. Michelin se prépare ainsi à un paysage de la mobilité en pleine évolution. Un paysage dans lequel les véhicules seront moins nombreux mais plus chers, plus techniques et, surtout, à hydrogène.
Michelin, l’iPhone du pneumatique (jusqu’à quand ?)
Les données financières communiquées par le groupe clermontois lors de l’annonce des résultats 2022 sont claires : la firme ne compte pas se lancer dans une guerre des prix avec les concurrents à bas coûts.
L’année passée, Michelin s’est même permis d’imposer à ses clients pas moins de trois hausses de prix pour maintenir ses marges dans un contexte d’augmentation des matières premières, d’envolée des prix de l’énergie et de tensions salariales. Cette inflation des coûts a causé une hausse de 2,7 Mds€ de dépenses l’an passé, qu’il fallait bien rattraper par des tarifs plus élevés.
La méthode a fonctionné – pour cette fois du moins. Le groupe a en effet pu afficher un chiffre d’affaires annuel de 28,6 Mds€ (+20,1 % par rapport à 2021, +18,5 % par rapport à 2019).
Mais le diable est dans les détails… Les volumes sont sous pression. Ils se sont contractés de -2 % sur l’année.
Variation trimestrielle des volumes (source : Michelin)
Pour maintenir l’activité, les efforts ont été concentrés sur les segments les plus techniques. Segments sur lesquels Michelin sait vendre son savoir-faire. C’est le cas des SUV, de l’aviation ou encore des équipements miniers. Sur ces segments, parmi les plus rémunérateurs, la marge opérationnelle a progressé de 1,9 point. Cela a contribué à effacer la baisse – équivalente – des segments poids lourds (-1 point) et véhicules légers (-1,6 point).
La stratégie de montée en gamme a donc fonctionné pour l’exercice 2022.
Mais, l’expérience prouve que les anciens leaders industriels, qui se voient menacés sur le bas de gamme, doivent changer de modèle d’affaire sous peine de disparaître rapidement.
Aujourd’hui, Michelin fait face à la concurrence asiatique. Une concurrence à bas coûts qui a déjà pour conséquence d’effriter ses ventes sur les produits d’appel. Demain, les fabricants amélioreront leurs procédés. Ils engrangeront du savoir-faire. Ils seront capables de proposer des produits toujours plus techniques avec des coûts de production toujours plus faibles. Ce qui ne fera pas les affaires de notre Michelin national.
Pour éviter de disparaître à petit feu en s’enfermant dans un marché toujours plus qualitatif et rentable, mais toujours plus étroit, Michelin a décidé de suivre le modèle des entreprises technologiques. Le groupe a mobilisé plus de 2 Mds€ dans les investissements l’année passée. Il devrait porter ce montant entre 2,2 Mds€ et 2,4 Mds€ cette année. La hausse est significative. Elle est aussi bienvenue après le trou d’air des années 2020-2021 durant lesquelles les investissements avaient été réduits à 1,5 Md€/an.
Apple a su utiliser la manne de l’iPhone pour financer le développement de ses produits suivants (Apple Watch, services). Ils représentent désormais 50 % du chiffre d’affaires apporté par le smartphone. Gageons que Michelin saura en faire autant. L’idée ? Utiliser sa position encore confortable sur le segment premium pour investir dans ses relais de croissance.
Après le pneu, Michelin regarde l’hydrogène
Hors pneu, Michelin nourrit d’autres projets. Devenir un acteur de référence dans la mobilité à hydrogène en fait partie. Ainsi, en 2019, Michelin s’est rapproché de Faurecia pour mettre en commun leurs efforts dans la motorisation à hydrogène. A cette occasion, le pneumaticien a vendu à l’équipementier la moitié de ses parts de Symbio, une startup issue du CEA spécialisée dans les piles à combustibles dans laquelle il avait commencé à investir en 2014 avant de la racheter totalement.
Depuis, la co-entreprise est détenue à parts égales par les deux industriels. Elle est chargée de faire naître un écosystème français de la mobilité à hydrogène. Et ce, tant sur le plan industriel, avec ses efforts de R&D, que sur la question des compétences avec le lancement, en 2021, de son « H2 Academy ». Cet organisme a pour ambition de former 1 000 spécialistes de l’hydrogène par an en collaboration avec des universités, des écoles d’ingénieurs, des partenaires industriels et régionaux.
La feuille de route est claire et ambitieuse. L’inauguration de la première gigafactory, dotée de 1 Md€ de financements sur sept ans, du groupe est prévue dans le courant de l’année. Installée à Saint-Fons, le site baptisé SymphonHy produira, à terme, 50 000 systèmes de piles à combustible par an.
Son premier client sera le groupe Stellantis. Ce dernier ambitionne de produire 10 000 véhicules utilisant l’hydrogène-énergie d’ici 2024. Il prévoit même d’entrer au capital de Symbio. De son côté, Symbio vise une production de 200 000 systèmes par an à horizon 2030, soit à un chiffre d’affaires de 1,5 Md€ avec les seules ventes de piles à combustible.
Pour Michelin, la diversification est aujourd’hui clairement assumée. La direction a d’ailleurs confirmé vouloir réaliser, à la fin de la décennie, entre 20 % et 30 % de son chiffre d’affaires dans des activités non liées à la conception ou la fabrication de pneumatiques. Et, si l’innovation interne ne suffisait pas, le groupe a prévu jusqu’à 5 Mds€ pour financer des rachats d’entreprises européennes ou américaines. De quoi apporter un nouveau souffle à l’activité du vénérable groupe qui, depuis sa création à la fin du XIXe siècle, a su évoluer avec le marché de la mobilité.