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Wall Street : la spéculation a pris un nouveau tournant

By 1 février 2021One Comment

Le retentissant épisode GameStop a révélé de nombreux effets pervers. Quant aux autoproclamés parangons de vertu, ils ne font somme toute que nourrir les excès et vices d’un marché qui n’en est plus vraiment un…

Cela fait plusieurs mois que je décris la montée en puissance d’une spéculation de type « commando suicide » sur les smallcaps, microcaps et autres actions fantômes à quelques cents, dont la finalité est d’empocher dix voire cent fois la mise en créant des spirales haussières complètement artificielles, quand dans le même temps les forums boursiers hébergés par Reddit fourmillent d’histoires de potentiels prodigieux à dormir debout.

L’une des plus célèbres communautés de « gamers/traders », dénommée WallStreetBets, vient pour sa part d’accéder à une célébrité planétaire en doublant le nombre de ses followers de 2 à 4 millions en quelques heures les 26 et 27 janvier, bouleversant le paysage financier et faisant exploser les limites du connu en matière de spéculation, de manipulation et de subversion des mécanismes des marchés.

Avec l’afflux de liquidités et la possibilité de recourir à des leviers colossaux via les options (essentiellement des calls), ces commandos de traders avec des comptes Robinhood à 1 000 ou 2 000 $ se sont transformés en brigades, puis en bataillons… Jusqu’à devenir une invincible armée d’aliens ou de guerriers barbares (comme ils se qualifient eux-mêmes, en référence aux jeux vidéo qu’ils affectionnent) capables de semer la dévastation sur la planète boursière et de pulvériser les plus grosses machines de guerre terrestres, c’est-à-dire, dans le cas présent, des hedge funds pouvant peser des dizaines de milliards de $ et pour certains mobiliser une force de frappe de plusieurs centaines de milliards, en particulier sur le Forex.

Le règne du grand n’importe quoi

Souvent obscure, cette forme est néanmoins est toute théorique car ces fonds doivent respecter en interne des règles très strictes en matière de contrôle du risque. Surtout, ils sont soumis à un impératif de « cohérence », sachant que leurs – très riches – clients ne supportent pas qu’une perte d’argent soit causée par des prises de décision absurdes et une absence de « maîtrise » de l’exécution des stratégies.

Moyennant quoi, leur « usage de la force » se trouve limité, alors qu’en face d’eux, les aliens susmentionnés n’ont aucune limite. Levier maximum, « full risk on » : ils sont prêts à perdre la totalité de leur mise (pas grave, ce n’est que 2 000$ en moyenne et on recommencera avec le prochain chèque fédéral), en l’absence de contrôle interne et de la cohérence la plus élémentaire. C’est le règne du grand n’importe quoi, avec des investisseurs amateurs qui mettent tous les oeufs dans le même panier, puis le secouent très fort avant de voir ce qu’il se passe, plongeant l’adversaire dans un désarroi total… jusqu’à le mener à sa perte.

Nous avons donc ici une belle illustration de ces conflits asymétriques où des armées invincibles en cas de guerre conventionnelle enchaînent de lourdes pertes face à des kamikazes, avant de se résoudre à dégainer l’arme atomique.

En l’occurrence, c’est la justice américaine et les autorités de régulation qui pourraient mettre les WallStreetBets et les plateformes de trading au pas, en les accusant de manipulation des cours ou au minimum de complicité, sachant que c’est de toute évidence le cas. A cette duperie s’ajoute le problème tout aussi grave de la diffusion de fake news, alors que de nombreux titres s’envolent pour des motifs complètement imaginaires ou à la suite de mensonges grossiers, sauf qu’individuellement, les membres de la communauté – en tant qu’opérateurs sur le marché – ne risquent rien car ils ne font individuellement rien d’illégal.

Prendre des risques insensés et s’exposer à tout perdre, avec le sourire qui plus est, puisque c’est pour « la bonne cause », n’est certes pas interdit, mais la situation pourrait devenir plus compliquée pour ceux qui diffusent de fausses informations (sous pseudo) et plus encore pour ceux qui « fédèrent » (sous pseudo également) les hordes de « tradersbarbares ».

Elon Musk a manifestement choisi son camp

Elon Musk s’est d’ailleurs impliqué en twittant « Gamestonk », affirmant par là-même son soutien à ces derniers face aux hedge funds et notamment Melvin Capital, qui aurait perdu 4,5 Mds$ – dont 4 Mds$ en quelques séances – en raison de sa position « short » sur Gamestop, soit plus du tiers de son encours.

Je n’irai pas jusqu’à affirmer que le patron de Tesla fait partie des « vengeurs masqués », mais cette hypothèse peut d’autant moins être exclue qu’il a apporté un soutien clair aux millions de traders qui suivent les mots d’ordre des fédérateurs. Or, ces derniers me semblent des acteurs cruciaux dans le cadre des attaques dirigées contre les hedge funds spécialisés dans les ventes à découvert dans la mesure où ils connaissent parfaitement tous les mécanismes des marchés dérivés, savent manipuler la volatilité, la faire grimper vers des seuils au-delà desquels s’enclenchent des spirales haussières et orchestrer des distorsions de « gamma » sur les options.

Mieux – ou pire : ils sont aujourd’hui capables de créer des bulles dont certaines sont devenues légendaires, avec des hausses atteignant jusqu’à 125 000 et même 360 000% ! Se greffe par-dessus cela un mélange de panurgisme aveugle, de trading haute fréquence et d’automates de gestion complètement crétins qui se trompent parfois de cible et font flamber de 1 000% des sociétés cotées totalement inconnues et qui ne réalisent aucun chiffre d’affaire… parce que le mnémonique est identique à celui d’une valeur en plein boom spéculatif !

Les communautés de « traders/gamers » et leurs guides spirituels ont fait entrer les marchés dans une nouvelle dimension de démesure absolue, mais ils n’ont cependant pas le monopole de la subversion des mécanismes de fixation de la « valeur », qui étaient jusque là des chasses gardées de hedge funds habitués à toujours gagner, par n’importe quel moyen, aux dépens d’illustres inconnus moins bien informés qu’eux et qui ne faisaient pas le poids.

Tous dans le même sac !

Leurs méthodes ne sont souvent pas reluisantes, avec l’accumulation de positions vendeuses sur une société dont ils diront le moment venu (lors d’une publication décevante) tout le mal qu’ils pensent dans des médias financiers de premier plan. De quoi bien sûr mettre un management au supplice, considérant que la communication de crise n’empêche pas l’effondrement du cours boursier et que le buzz négatif amplifié par les médias mainstream amène de nombreux investisseurs détenant les actions de la société attaquée à s’en défaire en catastrophe, même s’ils devaient détenir les preuves que la situation est loin d’être alarmante. Il faut bien se résoudre à couper les pertes…

Le « short-seller » activiste profite de la spirale baissière qu’il a créée pour solder ses positions avec d’énormes gains et peut même les inverser afin d’obtenir à vil prix son ticket d’entrée au board de la société. Il fait le ménage, annonce un plan de restructuration tonitruant accompagné de licenciements de masse, et tant pis pour les pots cassés au niveau de l’emploi, de la dette des Etats ou de l’épargne des ménages.

Les « Robinhood » pensent alors mériter leur surnom en infligeant une cuisante leçon à des manipulateurs sans scrupules, et mettre en lumière l’immoralité des ventes à découvert… Néanmoins, ont-ils conscience d’agir presque certainement pour une autre catégorie de manipulateurs tout aussi peu soucieux de la moindre éthique et qui n’ont comme seul but de faire de l’argent encore plus vite que ceux dont ils dénoncent les méthodes, au mépris de la vocation d’un marché qui est la découverte de la « valeur » ?

Au bout du compte, ce ne sont plus seulement les hedge funds qui y perdent de leur crédibilité, mais aussi les régulateurs et le marché dans son entièreté. Sur quoi repose donc désormais l’économie de marché ? Nous ne sommes plus au casino, où on peut éventuellement gagner 36 fois sa mise à la roulette… mais pas 1 000 fois en pariant de surcroit sur un numéro 37 qui n’existe pas.

Philippe Bechade

Rédacteur en chef de « La Bourse au Quotidien » et de la lettre « Béchade confidentiel », Philippe Béchade rédige depuis 2002 des chroniques macroéconomiques et boursières. Il est également l’auteur d’un essai, "Fake News", qui fait office de manuel de réinformation sur les marchés financiers. Arbitragiste de formation, analyste technique, il fut en France dès 1986 l’un des tout premiers traders et formateur sur les marchés à terme. Intervenant régulier sur BFM Business depuis 1995, rédacteur et analyste contrarien, il s'efforce de promouvoir une analyse humaniste, impertinente et prospective de l’actualité économique et géopolitique.

1 commentaire

  • Avatar Bob l'eponge dit :

    Es un article écrit par l’avocat de Melvin Capital ?
    Vous qui dénoncez à chaque interview, depuis 10 ans, le « system » ???
    Et il faudrait condamner cette « réponse » extraordinaire des boursicoteurs ?
    Connaissez vous les salaires des pdg de ces hedge funds ? Nos pdgs de banquiers vous pâlir.
    Un gars a rembourser son prêt étudiant en 1 coup, avec cette histoire.
    Honte a ces ordures , qui vont, via la complicité de l’Etat US, verrouiller, dès maintenant, ce qu’ils peuvent, pour rester libre de leurs prochains méfaits.
    Bravo a ces boursicoteurs qui ont donnés une belle leçon au milliardaire de New York, qui passe leurs années a rincer les boursicoteurs.
    Vous montrez votre vrai visage. On critique depuis 10ans devant les caméras,
    mais en final, « faut rien changer ».

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