Déjà bien orientée ces dernières semaines, l’action Carrefour s’est envolée hier sur fond de velléités de rapprochement amical avec un groupe alimentaire canadien. Reste à savoir si la dynamique haussière se perpétuera, d’autant qu’elle retombe ce jeudi…
Largement en tête du CAC40 hier, l’action Carrefour a culminé jusque vers 18,1 € (plus de 16% de gain), au-delà donc du zénith de 17,7 € de fin juillet 2019, sur l’anticipation d’un « rapprochement amical » (comprenez un rachat) par le groupe de distribution alimentaire canadien Couche-Tard.
Basée à Laval des rapides, cette société est une success story locale débutée il y a 40 ans et connue de tous les Montréalais. Aucun étudiant passé par l’Université McGill en « éco-management » ne peut l’ignorer et sa croissance phénoménale est régulièrement citée en exemple.
Et pour cause : d’abord première épicerie/dépanneur de la banlieue nord de Montréal, Couche-Tard est devenue incontournable dans tout le Québec, avant d’investir les autres provinces canadiennes, de franchir la frontière américaine et de traverser l’Atlantique pour s’implanter en Norvège, à travers le rachat du réseau de stations-service de Statoil. Ce fut ensuite le tour de Hong Kong via l’acquisition de Convenience Retail Asia), toujours dans le domaine des commerces de proximité, si possible couplé avec de la distribution de carburant. Celle-ci représente tout de même 70% du chiffre d’affaire de Couche-Tard à ce jour, mais mieux vaut retenir que le groupe détient 14 000 points de vente sous différentes enseignes de détaillants et qu’elles sont toutes profitables.
Bref, son patron Alain Bouchard maîtrise son sujet et il a réussi des dizaines d’acquisitions parce qu’il ne s’est jamais écarté de son métier d’origine, le commerce de détail.
Le rachat de Carrefour constituerait donc une remarquable exception, mais il serait prématuré de qualifier cette opération d’aventureuse. Sa logique résiderait plutôt dans la complémentarité, au lieu de jouer sur les ressorts classiques des synergies, ces dernières apparaissant en tout état de cause peu nombreuses.
Surtout, c’est Couche-Tard qui prendrait le risque de prendre le contrôle d’un distributeur moins rentable que lui, et c’est du reste comme cela que ses actionnaires ont accueilli ces velléités, faisant chuter le titre du géant canadien de 10%.
L’émoi de Bercy
De son côté, l’Etat français, qui se serait certainement félicité que Carrefour « montre de l’ambition » en s’intéressant à Couche-Tard, s’est ému que le scénario soit inverse, oubliant que la capitalisation du distributeur canadien est presque deux fois supérieure à celle du distributeur français.
Et le ministre des Finances Bruno Le Maire de dégainer l’argument patriotique : « ce qui est en jeu, c’est la souveraineté alimentaire des français. L’idée que Carrefour puisse être racheté par un concurrent étranger, a priori, je ne suis pas favorable à cette opération » !
Oui, sus à cet épicier canadien qui menace d’affamer les français !
Précisons que les gouvernement précédents ne s’étaient pas montrés si regardants lors de la cession de la division turbines d’Alstom à son principal concurrent américain, lequel mettait la main sur des technologies nucléaires sensibles et sur la maintenance de nos centrales.
Une autre objection classique réside dans le risque de lourdes pertes d’emplois, sachant que c’est généralement la suppression des « doublons » qui permet de mettre en avant des synergies aux yeux des actionnaires.
Les économies d’échelle possibles semblant peu nombreuses, les suppressions d’effectifs devraient être très limitées, aussi les pouvoirs publics français ont-ils peu à redouter d’un impact social potentiellement coûteux sur le plan politique à un an et quatre mois des élections.
Cap sur les 20 € ?
En ce qui concerne l’actionnaire de Carrefour maintenant, le projet d’offre de Couche-Tard semble démontrer que la valorisation du distributeur était jugée basse et il n’est pas exclu qu’une offre supérieure à 18 € soit envisagée. Et si Paris veut s’y opposer, on se demande bien comment il pourra démontrer que Carrefour est plus « stratégique » qu’Alstom il y a sept ans, puis comment la sécurité alimentaire de nos concitoyens pourrait être menacée… et avec elle celles des Brésiliens.
Couche-Tard voudrait-il racheter Carrefour, comme Mittal l’a fait avec Arcelor, pour fermer les hypers ou les Carrefour Market et ainsi faire disparaître un concurrent ? Sauf que, justement, les deux entités ne sont pas concurrentes.
Du fait de sa nature atypique, il est possible que l’opération n’aboutisse pas, mais elle ne manquera pas d’interroger la communauté financière sur la « valeur » que Couche-Tard a décelé dans le groupe Carrefour, au-delà de la complémentarité géographique et des formats de magasin. L’avènement de la voiture électrique incite-t-il le groupe canadien à se recentrer sur la distribution de biens de consommation de base et sur l’alimentaire au détriment du carburant ? Possible…
Du point de vue « chartiste », le franchissement de la résistance cruciale des 18 € induit en tout cas une progression assez tranquille en direction de 20 €.
Un potentiel de gain de +10% ne fera pas chavirer les actionnaires de Tesla qui sont habitués à de telles poussées en deux voire une seul séance, mais pour ceux qui ne veulent pas prendre le risque de perdre la moitié de leur mise en quelques jours ou quelques semaines, Carrefour, avec son rendement de 3,5%, mérite de venir compléter un portefeuille qui aurait un profil trop spéculatif.
Pour finir, il me semble qu’un pull back vers 15,50 € constituerait une opportunité d’achat, en cas d’abandon du projet de Couche-Tard.
L’inénarrable Bruno Le Maire qui est le plus grand stratège… en lettres modernes l’a ramené encore pour dire une ânerie. C’est dire que si ce type d’énergumène dirigeait une entreprise (non ce n’est pas possible) c’est comme ça qu’il envisagerait les affaires